Un cinquième protagoniste joue un rôle déterminant dans ce scenario à la résolution inéluctable, c’est le téléphone, personnage tampon incontournable des trames de Guitry selon une de ses maximes : “Avez-vous remarqué que, lorsqu’on fait rétablir une conversation téléphonique coupée, on s’aperçoit qu’on s’était tout dit.”
Auteur de 124 pièces, Sacha Guitry est passé maître dans l’art de décortiquer les relations amoureuses n’hésitant pas à mettre en scène les péripéties des couples qu’il a formés avec d’innombrables femmes dont cinq épouses légitimes, toutes comédiennes. Dans Quadrille, il est connu que c’est le goût de Guitry pour l’art du mensonge qui en est la principale source d’inspiration ou plutôt l’art de "jouer sa propre vie". Une de ses réparties les plus connues n’est-elle pas : "Il faut s’amuser à mentir aux femmes ; on a l’impression qu’on se rembourse !" L’intrigue de Quadrille serait d’ailleurs directement inspirée de la fin de sa liaison avec Yvonne Printemps et son amour naissant pour Jacqueline Delubac, sa cadette de 22 ans.
Fils de comédiens (Lucien Guitry et Renée Delmas), Sacha Guitry est élevé dans le monde du spectacle. Il sera très tôt le témoin des passions amoureuses de son père notamment pour la grande Sarah Bernhardt et de la séparation de ses parents. Ses pièces empruntent au répertoire vaudevillesque dans la lignée de Feydeau (apparition impromptue des amants, claquements de portes) mais avec une touche d’analyse et un passage au peigne fin des coups bas qui frise le masochisme.
Sans conteste la pièce la plus jouée de Guitry, "Quadrille" - dont on se souviendra de la version de Bernard Murat au théâtre Edouard VII - est ici parfaitement mis en scène par Thibaut Neve avec peps pour une adaptation "à la sauce belge". Dans une esthétique qui emprunte aux vignettes de BD, soulignons la performance des comédiens - le quadrille (Fabio Zenoni dans le rôle de Philippe de Morannes, résigné et déjà prêt à tourner la page pour une nouvelle aventure ; Elsa Tarlton, une Paulette pleine de fougue et "vache" à souhait ; Cécile Florin, l’amie de Paulette, ambigüe et prompte à accélérer le dénouement des choses ; Marvin Schlick, provocateur dans la peau du latin lover) et l’hilarant Arnaud Van Parys dans un registre multifonctions, tour à tour garçon d’étage blasé ou médecin guindé façon Dupont de Hergé, sans oublier Juliette Manneback reprenant le rôle de femme de chambre de Pauline Carton dans un registre pétillant.
Le décor 1930 de Vincent Bresmal et Matthieu Delcourt est sobre et élégant jouant sur le contraste noir et blanc en harmonie avec le propos de la pièce. Les tenues chics et seyantes de Béatrice Guilleaume, Anne Guilleray et Sofia Dilinos sont ainsi délicieusement mise en valeur par la discrétion du décor.
Aucune fausse note donc pour ce spectacle qui vous fera passer une soirée des plus agréables dans une atmosphère au goût un peu suranné mais où le maniement de la langue et la cocasserie des répliques et des situations balaient toute réserve. Si Guitry a souvent été taxé de misogyne c’est plus par un réflexe d’autodéfense et d’orgueil face à la trahison que par mépris des femmes qu’il adorait purement et simplement.
Palmina Di Meo