Si vous avez vu « Laïka », vous ne serez pas dépaysé (ni déçu, d’ailleurs). Si vous ne l’avez pas vu, vous ne serez pas perdu (ni déçu, d’ailleurs). « Pueblo » s’inscrit dans la même lignée que « Laïka » sans pour autant en être la suite. Le dispositif est identique : un décor minimaliste, un comédien, David Murgia, un musicien, Philippe Orivel, un auteur, Ascanio Celestini.
Le conteur et poète italien est anthropologue de formation. Rien d’étonnant dès lors qu’il s’attache à observer et écouter les gens, ces anonymes sans histoire, ces quidams invisibles qui échappent aux statistiques, ces exclus qui n’ont pas voix au chapitre et tous sont, pourtant, pétris d’humanité. En racontant leur histoire, Celestini leur donne vie, leur confère une place, une existence et tente de sauvegarder la culture qu’ils ont dans le cœur. Ce qui différencie le voyeur du poète c’est que le poète peut toujours imaginer. « Je ne sais rien de la vie des autres mais je te raconte tout. »
Derrière la fenêtre en face, il y a peut-être quelqu’un, on ne sait pas. Une vieille femme de plus en plus vieille et une jeune femme de moins en moins jeune. La jeune, c’est Léonore qui travaille à l’essai à la caisse du supermarché. Elle trône à la caisse comme une reine. Les reines n’ont pas de tracas, de préoccupations et même pas de jambes.
La clocharde qui ne fait pas la manche sur le parking du supermarché s’appelle Dominique. Elle vit dans une ancienne guérite en plastique, range les caddy sur le parking et reçoit en échange des produits périmés. Dominique vit une histoire d’amour avec Saïd qui est manutentionnaire dans l’entrepôt derrière le supermarché. Saïd a des projets avec Dominique, Saïd ne boit pas sauf le samedi. Mais Saïd dépense l’argent qu’il gagne dans les machines à sous. Saïd sera expulsé vers son pays d’origine mais il reviendra, quitte à rejoindre « les 100,000 nègres morts au fond de la mer ».
Dominique a connu la souffrance dans son enfance, tyrannisée par les bâtardes de bonnes sœurs tandis que son père et son ami gitan, qui a huit ans et qui fume, lui apprenait à voler les couillons au marché couvert. Mais aujourd’hui, c’est le jour des prodiges, elle est tellement heureuse qu’elle rit.
Comme à son habitude, David Murgia excelle dans son rôle de conteur au débit impressionnant. La prouesse est d’autant plus remarquable que Ascanio Celestini écrit peu ses textes qui vivent dans sa mémoire. Le comédien s’est donc rendu à plusieurs reprises à Rome pour récolter les mots de l’auteur. Sur scène, il s’appuie sur quelques textes écrits et « brode » le reste à partir de ce qu’il a gardé en lui de ces rencontres. Passant du comique au tragique, maniant de la répétition avec maestria, poussant même la chansonnette en italien, il ressuscite les damnés de la terre, les laissés-pour-compte de la société et du capitalisme. « La dignité se voit dans l’humilité. »