Une accorte chauffeuse de salle nous y prépare, en nous apprenant à rire, siffler, applaudir sur commande. Ce soir, "A night with Michel" reçoit Edward Bernays. Sous les ovations enregistrées, celui-ci vient serrer des mains et confirme sa maîtrise du public, en l’invitant à répéter des phrases musicales. Puis interviewé par Michel, il nous révèle les secrets de sa réussite. Complice d’un papa simulateur, il a, dès son enfance, appris à jouer la carte de l’émotion. Producteur de théâtre, il privilégie les drames sociaux. Comme cette pièce sur la syphilis, qui fait un tabac. Succès dû au pathos et à l’engagement de célébrités qui collectent des fonds. Vive le Charity-business ! Neveu de Freud, Edward Bernays a mis au point une série de stratégies qui anesthésient la conscience sociale du citoyen et le métamorphosent en consommateur passif et malléable. Le pouvoir appartiendra à ceux qui réussiront à influencer le choix des masses. Aussi ce "mercenaire de la vente" conseille vivement aux dirigeants et aux politiciens de recourir à des conseillers, sortes de psychanalystes pour entreprises, les lobbyistes et les spin doctors d’aujourd’hui.
Pour guider le peuple, à son insu, vers le "bon choix", Bernays ne s’est jamais embarrassé de scrupules. Les Etats-Unis produisent trop de cochons... Il fait appel à des figures d’autorité. Médecins et chercheurs complaisants vantent la valeur nutritive du bacon, qui s’impose aux breakfasts. La crise du porc est résolue. Pour libérer les femmes qui n’osent pas fumer dans les lieux publics, la publicité fait de la cigarette un symbole de l’émancipation féministe. Lucky Strike se frotte les mains et en profite pour mettre à la mode le vert, sa couleur fétiche. En 1917, Edward Bernays joue un rôle important dans le retournement de l’opinion publique, jusque-là pacifiste. Films, tracts, affiches agressives font peur à une majorité d’Américains qui acceptent de soutenir l’effort de guerre. En 1954, il se montre tout aussi efficace, pour protéger les intérêts de la multinationale ’United Fruit Compagny" (Chiquita), au Guatemala. Sans état d’âme, il provoque le renversement du président socialiste, démocratiquement élu, sous prétexte que ce "communiste" menace les U.S.A., en offrant une tête de pont aux Russes. Vive les fake news !
Afin que "Propaganda !" soit "festif, direct et drôle", Vincent Hennebicq a combiné conférence et plateau télé. Sur un grand écran, un déferlement d’images d’archives ou récentes, associées à des zooms sur l’invité, dynamise et actualise le spectacle. Utilisant les ficelles classiques de la télé (musiques suggestives, jeux, appels téléphoniques, etc.), les animateurs apparaissent comme des manipulateurs chevronnés. Très professionnelle, la complice de Michel ( Eline Schumacher) meuble un temps mort par d’amusants tours de magie. Bernays était persuadé d’agir pour le bien de l’humanité. En l’incarnant, Achille Ridolfi reflète cette bonne conscience dans sa jovialité et sa bonhomie. Il défend des techniques effrayantes avec un sourire désarmant. Pro de la communication, il ne se laisse pas déstabiliser par une question gênante et suscite l’empathie.
Cependant, lorsque l’animateur (Julien Courroye) se révolte contre le cynisme et l’art du mensonge, on partage son indignation. Pas possible d’accepter que la démocratie devienne l’esclave de l’ultralibéralisme. Reconnaissons pourtant que notre société offre aux manipulateurs un terrain de plus en plus favorable. Omniprésente, la publicité exacerbe le désir du citoyen, qui se laisse happer par la surconsommation. L’information est gangrenée par les fausses nouvelles, qui prolifèrent grâce aux réseaux sociaux. Quand elles sont dénoncées, le mal est déjà fait. "Propaganda !" nous sensibilise aux méfaits de la manipulation, en misant sur l’humour. Pas de dénonciation frontale, mais un appel à notre lucidité. Fier de ses succès, le héros du spectacle dévoile ses armes redoutables. A nous de combattre les réactions grégaires et de résister, en aiguisant notre esprit critique.
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