Ascension : la jeune actrice provinciale (la sulfureuse Deborah De Ridder), montée à Buenos Aires, rencontre le colonel Juan Perón (l’excellent Philippe d’Avilla) lors d’une vente de charité organisée afin de récolter des fonds pour les victimes du tremblement de terre dans la région de San Juan. Chassant sa dernière maîtresse (nommons l’exquise Maud Hanssens, la fille du metteur en scène), elle l’épouse le 21 octobre 1945. Elle contribue grandement à son élection comme président en 1946. Elle met en avant ses racines modestes afin de montrer sa solidarité avec les classes les plus défavorisées et crée la Fondation Eva Perón dont le rôle est d’assister les pauvres.
Win-Win situation : nombre d’hôpitaux et d’orphelinats créés par la Fondation ont survécu à la mort prématurée d’Evita. Elle devient le centre d’un culte de la personnalité. Elle brigue la vice-présidence en 1951, ce qui irrite vivement les militaires haut placés qui ne souhaitaient pas voir une femme gagner de l’influence. En même temps, on lui connait un côté moins reluisant. Elle est celle qui, après son « Rainbow tour » en Europe en 1947 - de l’Espagne à Zurich, hormis l’Angleterre mais en passant longuement par le Vatican - a facilité l’émigration et la fuite des Nazis et de leur or vers l’Argentine.
La Chute : l’ambassadrice auprès des nazis transformée en Madone mourra d’un cancer à 33 ans le 26 juillet 1952. Son corps embaumé disparaîtra après le coup d’état de 1955 pendant 17 ans nous dit l’histoire, quelque part non loin du Vatican, en Italie... Une vertigineuse histoire d’ambition et d’adoration démesurée contée malicieusement par le personnage rebelle du nom de Che (Steven Colombeen). Bien qu’en vrai, Evita n’a jamais rencontré le révolutionnaire cubain.
La mise en scène est signée Daniel Hanssens et Jack Cooper. Elle est tout, sauf romantique. Elle donne la preuve tangible que les mots sont menteurs. Elle est un élixir de réveil de citoyens. Acide et caustique, elle combat la drogue du pouvoir absolu. Antidote des mal-aimés, elle combat la dictature et sa haine des classes moyennes ou aisées. Elle combat à la racine la manipulation qui siège déjà au sein même des couples humains. Elle expose sans concessions la mélodie du malheur quand les décisions politiques sont motivées d’abord par des intérêts personnels. Le texte, une adaptation dramaturgique très soigneuse d’Olivier Moerens, est chanté d’un bout à l’autre du spectacle avec beaucoup de naturel - oui, on en oublie l’anglais. La superposition est parfaite, sur le mode James Ensor, avec tout son sarcasme.
Notre interprète préféré est ce Che (Steven Colombeen), le narrateur frémissant des désillusions en série qui met à nu toutes les tactiques manipulatrices. Un travail d’orfèvre que l’on suit avec jubilation.
Est-ce à dire que l’émotion artistique n’y est pas ? Que du contraire ! L’habileté de la mise en scène (n’oublions pas qu’il y a un magicien aux commandes !), les fabuleuses chorégraphies de danses argentines, les costumes et les coiffures d’époque, les chœurs, la musique - les douze musiciens sont orchestrés par Pascal Charpentier - ont tout pour séduire et enchanter. Aucune distorsion dans la sonorisation, ce qui permet de suivre le moindre détail du texte - une qualité rare pour un musical !
Foule assoiffée d’idéal, ce spectacle est pour vous. Les comédiens sont tous animés d’un enthousiasme délirant, et cela fait chaud au cœur ! Ils ont, chacun à leur place, trouvé le parfait équilibre d’une production vivante et tonifiante. Daniel Hanssens explique : « Il y a de nombreuses choses à admirer chez Eva Peron : la personne. Sa détermination à réussir malgré des obstacles presque insurmontables. Sa défense de la femme dans une société dominée par les hommes. Son soutien des classes populaires dont elle est issue, dans une société très hiérarchisée. Son courage face à la maladie et à la mort. Et non des moindres, son apparence physique. Mais il est aussi impossible de ne pas être dégoûté par de nombreux comportements péronistes dont elle était le symbole assumé : la torture, la corruption, la tromperie et la mauvaise gestion d’un pays riche. »