Ida cherche Julian. C’est le premier jour du printemps. Ida est amoureuse de Julian mais Julian ne l’aime pas. La raison n’en incombe pas au manque de charme de celle-ci. En quête d’absolu, le jeune homme dit ne pas savoir qui il est, mais il a un secret. « Ce qu’il m’arrive est très important » dit-il, sous-entendant que ce qui arrive aux autres ne l’est pas.
Nous sommes dans une province de l’Allemagne des années 1960. Ida s’apprête à participer à la marche allemande pour la paix, histoire d’aller « pisser contre le mur » (de Berlin). Elle tente de convaincre Julian de l’accompagner mais, 50% conformiste et 50% révolutionnaire, ce dernier décline l’invitation, considérant l’événement comme « un terrorisme des jeunes bourgeois contre le terrorisme des vieux bourgeois ».
Dans le même temps, le père de Julian se plaint de ce fils qui n’est ni obéissant, ni désobéissant. Il semble que lui et son épouse ne connaissent pas le même garçon tant la perception que chacun en a est radicalement opposée à celle de l’autre. Il fait aussi partie de cette génération charnière qui se dresse contre l’amnésie collective qui a donné naissance à un modèle économique et industriel axé sur le consumérisme au lendemain de la guerre pour reconstruire le pays.
Le père a su tirer parti de cette période trouble pour renforcer et développer ses usines. Plus d’armes mais de la farine, du fromage, de la bière et des boutons. Surgit alors Herdhitze, un autre ancien industriel qui tente de faire oublier son passé de criminel de guerre en changeant de nom et de visage. Les deux industriels bourgeois se menacent de chantage, l’un pour ses sympathies nazies l’autre pour les penchants de son fils à l’égard des porcs. Il finissent par s’allier mais le fils dérangé se fait dévorer par les cochons qu’il aime trop...
Comme ils sont encombrants les pères forts laissant leur progéniture, ni soumise, ni rebelle, ni morte, ni vivante. Les sentiments ont disparu, il ne reste que le capitalisme triomphant, insatiable et bestial. Le porc c’est celui qui dévore tout, c’est l’homme qui détruit ses semblables au profit de l’économie.
Le texte de Pasolini est âpre, dérangeant. Métaphores et allusions sont omniprésentes dans les longues analyses politiques qui montrent que le capitalisme est capable de s’adapter à n’importe quel type de régime. Dans une scénographie épurée mais inventive et très efficace, les comédiens (ils sont quinze au salut final, ce qui est rare) portent le propos avec conviction et justesse, menant le spectateur dans les méandres d’un conflit générationnel et humain.
Didier Béclard