Tout commence dans un carré de lumière, au sol sur le plateau. Des voix énoncent comme des règles qui régissent les contacts entre personnes. « Distance zéro : contact pendant l’acte sexuel ou la lutte », « Deux mètres dix, trois mètres soixante, contact professionnel », « Quarante à septante centimètres, contact par les mains ». Dans le même temps, deux femmes vont et viennent dans l’espace de lumière, elles le traversent sereinement ou y atterrissent comme projetées, rejetées, hors du noir.
La lumière inonde progressivement tout le plateau. Les deux femmes entament alors une sarabande, au ralenti, une danse empreinte de respect et de distance dans laquelle les différentes parties de leur corps se frôlent sans jamais se toucher. Elles se jaugent, se toisent, comme dans une forme de découverte, d’apprivoisement mutuel. L’une met la main sur le plexus de l’autre qui semble surprise avant de prendre sa main et de la remettre au même endroit, de la toucher à la recherche du contact physique. Puis elles se respirent, se cherchent du regard, en se plantant les yeux dans les yeux, se prennent la chair, des épaules, des cuisses.
Les deux corps s’emmêlent, se nouent pour ne former qu’une seule entité. Quand l’une prend l’ascendant sur l’autre, manipulant son corps, le poussant, le mettant face contre terre, le soulevant inerte dans une forme d’empoignade. Les deux femmes s’affrontent avant de s’apaiser, s’apprivoiser, se réconcilier.
Dans « Piel » (peau en espagnol), la chorégraphe vénézuélienne Maria Eugenia Lopez aborde le toucher, le contact physique et les états corporels qui en découlent, et, en creux, les distances à respecter entre êtres humains dans une société hyper codifiée. Qu’est-ce qui est correct, incorrect, consenti ou interdit ? Dans certains pays, dans certains milieux, on ne s’approche pas à moins d’une certaine distance, on ne se touche pas, on ne se fait pas la bise. Dans d’autres, on se tape dans le dos, on tombe dans les bras l’un de l’autre, sans équivoque. Inconsciemment parfois, les rapports et des contacts physiques - autorisés ou proscrits - influent sur nos attitudes vis à vis des autres, vis à vis des autres membres de la société.
Maria Eugenia Lopez et Florence Augendre interprètent un duo intime qui évoque la diversité et la complexité des contacts physiques dans une société où le besoin, socialement mais aussi sensuellement, essentiel du toucher est bridé, voire censuré ou interdit, par les codes d’une société qui semble dresser des armures, des interdits, entre les personnes.
« Piel », créé récemment au Festival In Movement aux Brigittines à Bruxelles est un spectacle de danse introspective d’une densité émotionnelle et corporelle très forte et pourtant empreint de délicatesse et de subtilité.
« Piel » de Maria Eugenia Lopez jusqu’au 31 mars au Théâtre de la Vie à Bruxelles, 02 219 60 06, www.theatredelavie.be.
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