À la source de cette réflexion, un texte du philosophe André Gorz qu’ils ont découvert ensemble : « Lettres à D ». « D » c’est Dorine, sa femme, à qui il écrit ces mots enflammés : « "Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine un vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien."
Incapables de vivre l’un sans l’autre, ils se donnent la mort le 24 septembre 2007 alors que Dorine est atteinte d’un cancer incurable.
Ce livre admirable a inspiré à Ilyas Mettioui et Camille Sansterre l’idée d’un spectacle qui serait une sorte de questionnement en direct sur le couple et l’évolution de l’amour au fil du temps. Ils brisent le quatrième mur en invitant des seniors tapis dans le public à s’immiscer dans l’intimité de leur dialogue. Ces intervenants non-professionnels arrivent sur la pointe des pieds pour lire des passages de la pièce dans les brochures que leur tendent Ilyas et Camille et reviennent plus tard raconter leurs histoires d’amour et de leur vision du couple. Pour Marc et Annette, le couple d’un soir (il y en a d’autres), on découvre un amoureux romantique, fidèle à une âme sœur et une aventurière pragmatique, toujours prête à saisir la balle au bond. Autres temps, autres mœurs, c’est bien le même refrain.
Alors l’Amour, qu’est-ce que c’est ? Du passé au présent, du couple traditionnel au binôme moderne, c’est sans doute un chemin semé d’embûches, de réflexions et de doutes, un sentiment alimenté par des petits riens, des partages, des symboles. Le mystère reste entier.
L’écriture du spectacle est de Paul Pourveur, un auteur qui laisse une large place au point de vue propre. Avec beaucoup d’humour, de la tendresse et une pointe de dérision, il ouvre le dialogue vers l’insondable. La mise en scène de Clémentine Colpin, proche du public, nous prend à partie dans ce duo devenu quattor avec un naturel qui semble improvisé, tout comme la valse qui les réunit dans un même tourbillon.
Palmina Di Meo