Midi, sous le soleil tapant, un bateau emmène ses passagers vers une nouvelle vie. Droit devant, la Chine sonne comme autant de promesses de richesses. Arrachés, non sans regrets, à leurs vies, les personnages semblent enfin pouvoir s’ouvrir aux rencontres qui se profilent sur leur chemin. Le Partage de Midi est sans doute la pièce la plus connue de Paul Claudel. Largement autobiographie, elle s’ inspire de la rencontre de Claudel, en 1900 sur un bateau en direction de la Chine, avec Rosalie Scibor-Rylska, déjà mariée . La liaison durera 5 ans, donnera un enfant et ébranlera de manière définitive la vie de l’auteur. Si le texte le plus joué date de 1948, ayant été retravaillé par l’auteur lui-même pour la scène, c’est ici la version originale de 1906 que la jeune metteuse en scène Héloïse Jadoul choisit de monter sur les planches. Pour Claudel, la blessure est encore fraîche et le texte cru, passionné, résonne comme un cri de désespoir. C’est cette brutalité, ces mots écrits à vif, sans censure, qui intéressent la metteuse en scène dans sa création.
Connu pour son langage littéraire poétique et énigmatique, Claudel est également un fervent catholique. La dévotion à Dieu forme une part importante de son œuvre et Le Partage de Midi, dont elle tiraille les personnages principaux, ne fait pas ici figure d’exception. De ce goût du sacré, cette moiteur presque mystique, ce qu’Héloïse Jadoul appelle nos “mythologies enfouies”, la pièce en est imprégnée. À travers des symboles religieux, des jeux de lumière troubles et des ambiance vaporeuses, la metteuse en scène effectue visuellement un intelligent parallèle entre l’expérience amoureuse, accueillir l’autre en soi et religieuse, se donner à l’autre, sans limites. Ce symbolisme assumé, lié à des décors riches mais minimalistes donnent à la parole des vertus prophétiques et à l’ensemble de la pièce des allures de versets bibliques.
L’écriture alambiquée de Claudel reste inchangée et s’il n’est pas question ici de nier la beauté de ce classique de la littérature Française, le choix de la déclamation peut porter à confusion. Cette sur-articulation, si elle laisse la part belle au texte, souffre cependant d’un manque de nuances que l’adaptation théâtrale demande et que le texte seul ne suffit pas à combler. Au fur et à mesure, l’attention se perd et la compréhension se fait laborieuse alors que les personnages peinent à attirer notre sympathie.
Héloïse Jadoul a ici le courage de s’attaquer à un classique dont la complexité en aurait fait fuir plus d’un. Si la mise en scène recèle de bonnes idées et des clés visuelles sublimant joliment le texte, les acteurs semblent parfois se laisser emporter par un texte trop grand pour eux. Il en coûte ainsi au spectacle une chaleur qui aurait été bienvenue dans une pièce qui traite, avant tout, de passion amoureuse.
5 Messages