Comme on est venus assister et participer à une expérience, c’est aux aguets que l’on arrive aux Riches-Claires, vivement sollicités par un hôte entreprenant. Chacun et chacune passe par le plateau, comme un rituel d’accueil pour, sous les bons soins de Nejm, se laver les mains et récupérer la feuille, "l’arc", et le stylo, "la flèche". C’est dans une ambiance chaleureuse, presque cabaretesque, que l’on s’amuse de ce défilé de spectateurs et du soin apporté par notre hôte pour prendre de nos nouvelles, nous soulager de nos peines, et imperceptiblement déjà essayer de nous cerner.
La musique est connue, le mécanisme huilé : lorsqu’une question s’affiche et qu’un micro est installé, le théâtre participatif de la Paracétamol Experience peut se mettre en place : "Doit-on panser ou repenser le monde ?". Les méninges s’activent sur les bouts de papier préalablement distribués. Notre cher hôte tient son rôle à merveille, s’amusant des noms retenus et du répondant qu’il arrive à titiller dans la salle. Sa logorrhée composée de citations et de maximes est amusante, parfois piquante. Il invite énergiquement les spectateurs à venir lire leurs réponses, les interdit d’applaudir, se joue de sa position de pouvoir obtenu à la fois par sa parole et son biais de sympathie... jusqu’à déraper dans une tyrannie glissante.
Quand une jeune femme sortie du public, s’avérant être finalement la comédienne Laurence Katina, se retrouve déshabillée, arrosée, enroulée dans du film plastique, c’est toute la salle qui monte d’un cran. L’expérience Paracétamol peut commencer : quelles réactions adopter ? Comment prendre la parole, interroger la notion de chef, remettre en cause le pouvoir incarné par ce Nejm tout de suite moins chaleureux ? Comment tester l’acceptation d’un public hétéroclite à la vue d’une femme agressée verbalement et physiquement sous couvert de métaphore du pouvoir et dans un cadre que l’on sait théâtral ? Les réponses varient et font le sel de cette création : un spectateur, tout à coup, se jette sur la scène pour empêcher cela et invite le public à l’y rejoindre.
"Alors qu’est-ce qu’on fait maintenant ?" La suite de l’expérience, une fois les acteurs et actrices ayant bondis de la salle à la scène, décline les possibles réponses aux actions, aux tentatives à mettre en œuvre pour un vivre-mieux commun et global. L’amour, le désir de création, la remise en question des systèmes capitalistes s’enchaînent via la parole des comédiens. Une "urgence à créer" des modèles alternatifs et des structures de pensée apparaît comme un leitmotiv commun. Cela résonne avec les mots de Vincent Macaigne et son "SMS de Cologne", réflexion poétique et politique qui, avec ampleur, déclame qu’il est important et nécessaire de "croire que ça n’a pas été rien de se rencontrer les uns les autres". Comme un symbole, l’expérience s’achève sur une danse de transmission entre les performers et quatre spectateurs, pendant la déclamation du monologue final : c’est le flambeau de la création, les lions qui veulent y croire, la force du faire et du faire encore, répétant les gestes, les preuves d’existence, qui s’expriment.
Paracétamol Expérience, faisant le pari du théâtre participatif, se veut une large interrogation sur nos manières d’être, d’interagir. Les modèles de nos vies sont interrogés sur un mode tantôt politique, tantôt poétique. Si on peut regretter une structure parfois décousue dans l’abondance de sujets abordés, on peut également saluer la performance d’interprétation, l’énergie des comédiens et l’inventivité de la scénographie et des costumes. Le postulat de cette création collective de choisir, chaque soir, un hôte ou une hôtesse différent.e, enrichit la compréhension de cette matrice expérientielle sur laquelle la réaction du public, la parole des individus et l’interprétation des comédiens donnent à voir à chaque représentation une œuvre unique. Alors on se surprend à "Préférer les tumultes/ Vouloir toujours se refaire".
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