Dans le cadre des scènes nouvelles, elle propose au Varia du 8 au 19 novembre sa première forme longue sous le titre "Outrage pour bonne fortune". Interview d’une jeune artiste prometteuse au talent singulier et novateur.
"Outrage pour bonne fortune" est l’histoire d’un avion du Vatican qui s’écrase dans les Alpes italiennes et qui dans sa chute tue des alpinistes ou réveille des alpinistes déjà morts, les deux versions existent sur le net...
Héloïse Ravet : Oui car il s’agit d’une écriture de plateau mais finalement nous avons privilégié la version où des alpinistes morts depuis bien longtemps se réveillent. "Outrage pour bonne fortune" interroge principalement le deuil. Que fait-on avec les morts ? Généralement, la question est posée du côté des vivants. J’ai voulu la renverser. Car peut-être que les morts ont aussi leur deuil de la vie à faire. Il s’agit ici de mort violente. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir que faire si quelque chose reste après la vie.
L’intrigue est située dans les Alpes italiennes et le spectacle est sous-titré en italien.
Héloïse : J’ai grandi à la frontière italienne. L’histoire se passe dans une abbaye.
Dans cette abbaye, il y a des personnages mis à l’honneur, ce sont les femmes.
Héloïse : Il y a un moine et une nonne. C’est une abbaye mixte, ce qui n’existe pas. Je suis pour les femmes.
Si le sujet est grave, le spectacle est humoristique...
Héloïse : On ne veut pas rendre les choses graves. Pourquoi vouloir être ténébreux sur ces questions-là. J’ai voulu en faire une fable.
On se place du côté des morts. La question de la mort nous concerne tous. L’idée est d’explorer la manière d’en parler à travers la fiction sans vouloir être sérieux.
D’où viennent tes idées de spectacles ? Dans "Larrons en Baskets bleues", on pénètre l’univers particulier de trois camarades qui se réunissent tous les ans pour une célébration mystique sur Elvis Prestley et comme tu l’as dit toi-même, ce n’est pas un spectacle sur Elvis mais sur une tentative de trouver un idéal de soi.
Héloïse : Oui essayer d’être soi à travers l’idée d’être un autre. Se trouver en se perdant soi-même.
Souvent les univers décalés de tes spectacles déroutent le spectateur tout au long de la représentation.
Héloïse : Il y a cette envie de provoquer cela, de parler de sujets universels comme la mort, l’identité mais par des biais, des brèches, des endroits où l’on n’irait pas normalement. C’est une dramaturgie des chemins de traverse. Au travers d’éléments anecdotiques comme les sosies d’Elvis Prestley, on peut trouver un sujet véritable sans surlignage, sans dire : "On va parler de ça". Je pars du principe que la dramaturgie infuse sans cesse, durant la création, durant le spectacle, sur les spectateurs, les spectatrices. On ressent, on comprend, sans qu’il soit nécessaire de dire explicitement les choses. Le récit, la fiction tend vers cela. Pour les Larrons, je ne pensais pas spécialement à Elvis Prestley. Mais j’ai halluciné en voyant son dernier live. Je me suis demandée "Qui est cette personne ?" Il a 42 ans, il pourrait en avoir 80. Quelle est sa destinée ? Et pour Outrage, l’idée des moines est venue lors d’une balade où j’ai vu des moines manger des boules de glace à la vanille. J’ai trouvé cela rigolo, très inattendu. Je me suis dit : "Ces gens-là ont aussi une vie, très triviale" alors que dans mon imaginaire, ils sont toujours représentés pieux et tournés vers la spiritualité, ce qu’ils sont, mais l’image des moines avec des boules de glace m’a frappée.
C’est une écriture de plateau, mais tu viens avec une idée de départ ?
Heloïse : Je viens avec une structure, un canevas qui va bouger mais un espace clos et des personnages qui eux ne changent pas. A partir de là, on explore.
Sur base d’improvisations ?
Héloïse : Les comédiens vont travailler sur base d’improvisations oui mais pas d’improvisations de plateau où je vais demander à telle personne de me parler de ses souvenirs ou de ses propres morts. Je viens avec des orientations très écrites par rapport à la structure et il est évident qu’ils participent à la dramaturgie en amenant leur propre sensibilité ou leur propre éclairage. Mais ils ne s’agit pas de faire du collage ni qu’eux-mêmes aient une implication émotionnelle autre que la structure et les recherches que l’on est en train de faire.
Je remarque que dans tes mises en scène il y a un travail très axé sur le corps en mouvance qui demande un effort aux comédiens avec une certaine souffrance physique même. On le retrouve dans ce spectacle-ci ?
Héloïse : On travaille beaucoup sur le corps. Ici, il s’agit en outre d’un travail sur la foi et sur la foi catholique, sur la chair qui est centrale et la chair en souffrance. On interroge aussi la question du corps des morts. Que fait-on des cadavres ? Dans la société actuelle il y a une omerta à ce sujet, on parle très peu de prise en charge du corps des morts. On explore l’idée de savoir de quelle manière la chair peut être battante, pulsante, comment faire un spectacle sur la mort en étant diablement vivant, totalement vibrant. La réponse que j’ai trouvée, c’est que l’on ne peut travailler que sur le corps que l’on a, le corps de l’acteur qui est fascinant puisqu’il peut représenter un millier de choses, on voit un bras et il peut représenter la mer. Ce qui m’intéresse, c’est que ce soit des acteurs(trices) et non pas des danseurs. La qualité corporelle est très particulière. Il n’y a pas le soucis de faire bien et beau mais on fait avec ce que l’on est et donc on travaille sur des ébauches de chorégraphies avec un corps empêché, un peu lourd et pas forcément gracieux mais c’est de là que surgit une petite fenêtre de grâce.
Comment choisis tu tes comédiens et comédiennes, tu les recrute, tu vas les voir ?
Héloïse : Pas toujours. J’ai une passion de trouver les comédiens avec qui je travaille d’une façon liée à la vie et non au plateau. C’est assez rare que j’aie vu quelqu’un travailler, jouer. Cela n’est même jamais arrivé. Je pars du principe que le plus important, c’est la direction d’acteurs et si je peux ressentir quelque chose dans la vie, dans la rencontre avec l’acteur, alors la moitié du chemin est déjà fait et nous pouvons y aller ensemble. Je ne suis pas du tout orientée vers la technicité. J’essaye de travailler avec des gens qui présentent une certaine étrangeté, une bizarrerie qui m’emmène à des endroits que je n’aurais pas imaginés.
En tant que créatrice et metteure en scène, y a-t-il en toi une recherche de faire quelque chose d’innovant ?
Héloïse : Innovant je ne crois pas parce que c’est impossible. Je n’ai pas l’ambition de faire de l’inédit en art mais avec mes quatre collaboratrices de la compagnie des Saintes Patronnes (je travaille toujours avec la même équipe artistique), nous avons envie de mettre en place de nouveaux canevas, de nouveaux schémas narratifs, ne pas se conforter dans des choses qui fonctionnent au plateau. On essaye de trouver des endroits où on ne nous attend pas tant au niveau du fond que de la forme. Je ne crois pas inventer quelque chose de complètement fou si ce n’est essayer de réduire au maximum l’artifice théâtral. La lumière, le son, les costumes, les acteurs, l’espace, on les imagine à quatre, éviter la vidéo, les micros, que ce soit un espace qui aie l’air le plus vide possible. Je pense que c’est un retour à une certaine théâtralité.
Propos receuilis par Palmina Di Meo