Une jeune femme blonde s’avance vers le public pour lui demander d’éteindre les téléphones. Elle s’appelle Marina et traque les amateurs de femmes russes sur internet en faisant payer chèrement ses services. Lui est déjà pris au piège, en permanence accroché à son smartphone pour répondre aux sollicitations même onéreuses.
Roméo sublime sa Juliette perchée sur un échafaudage, l’encensant sans réserve ni pudeur, voyant en elle un « ange lumineux ». Mais dans ce qui peut être entendu comme une tentative de séduction, on sent comme un amour de l’amour, une envie de vivre pleinement une histoire d’amour, comme une soumission au diktat de l’amour, comme un enfermement volontaire dans ce qui, en définitive, constitue une situation de dépendance.
Laurent, quadragénaire, confie son avenir amoureux à Marina, coach en relations de cœur, qui a lancé le site « marinapourtoujours.com ». Il se soumet totalement aux injonctions de cette apprentie despote, à ses commandements, prisonnier de ce qui est devenu une véritable « prothèse numérique ».
Trois histoires imbriquées les unes dans les autres, mises en contraste les unes avec les autres, qui témoignent de l’asservissement volontaire, du temps de Shakespeare comme de notre époque contemporaine. « La démocratie a fait son temps, le peuple demande la dictature. » On vilipende le « totalitarisme démocratique » mais il est clair qu’il existe une « aliénation optimale sous les apparences d’une liberté totale », sous la forme d’un smartphone et tous les réseaux sociaux et autres sites qui se cachent derrière, ou dedans. Et la déconnexion avec le réel qui en résulte.
Dans cette triple intrigue complexe, Pauline d’Ollone a cherché « à trouver une essence commune à différentes formes d’aliénation, de mettre différentes formes d’asservissement côte à côte dans une même histoire » pour mettre en lumière les mécanismes qui incitent les gens à se soumettre à un tyran, qu’il soit conceptuel, numérique ou de chair et d’os.
Dans ce jeu choral au rythme très soutenu (en dépit d’une baisse de régime passagère), les quatre comédiens - Pierange Buondelmonte, Héloïse Jadoul, Sarah Messens et Jérémie Siska – font preuve de cohésion laissant à chacun l’occasion de tenir le crachoir, d’attirer la lumière sur soi. Ils servent avec maestria un texte ciselé, solide, à l’humour décapant, décalé, truffé d’allusions politiques ou philosophiques.
OÙ SUIS-JE ? QU’AI-JE FAIT ? de Pauline d’Ollone créé à la Balsamine à Bruxelles, jusqu’au 23 novembre au Théâtre de l’Ancre à Charleroi, 071/314 079, www.ancre.be.