Charleroi, Boulevard Pierre Mayence, Les Écuries, 20:00. Les portes de la grande salle se referment et plongent dans l’obscurité spectateurs et plateau. On distingue à peine les silhouettes des quatre acteurs présents sur scène, à la faveur de la lumière floue et diffuse qui s’empare petit à petit de l’espace.
Pendant un peu plus d’une heure, les interprètes vont chercher à répondre, étape par étape et schémas à l’appui, à cette simple question : peut-on repartir à zéro ? Peut-on, à partir de l’univers clos que représente la salle de théâtre, créer un nouveau système, de A à Z ?
Il faut dire que l’endroit se prête parfaitement à une telle entreprise : au milieu d’un plateau minimaliste à la scénographie rudimentaire, les quatre interprètes, munis de simples consoles de commande, errent gentiment.
Sous nos yeux, à tâtons, un univers se développe. De l’invention de la lumière aux techniques de classification de l’information en passant par les lois de la physique et du langage, nos quatre comédiens introduisent, expérimentent et interrogent les concepts qui régissent notre monde et notre société depuis la nuit des temps.
Avec une ingénue candeur, les personnages explorent leurs rapports au système et aux autres. Et c’est justement cette ingénuité qui fait mouche, facilitant l’accès et la compréhension de concepts complexes et nous permettant de redécouvrir, avec des yeux d’enfants, les tensions et les principes qui sous-tendent notre vie quotidienne. Initiateur de réflexions, sans jamais être scolaire, Germinal nous amène à nous interroger sur le monde qui nous entoure.
Au-delà de cette trame principale, Germinal offre une mise en abyme du médium même par lequel il exprime ses idées : le théâtre.
Le spectacle nous balade à travers l’histoire du théâtre, dont il se veut le miroir : en premier vint la lumière, d’abord incertaine puis inondant le plateau et l’espace de jeu. Au commencement atones, les comédiens se servent de la pantomime, prémisse de l’art dramatique, avant de découvrir la parole, un outil de jeu qui ne cessera de gagner en précision tout au long de la pièce.
Avec l’évolution des rapports sociaux et de la hiérarchie naissent des tensions qui amènent la notion de catharsis, centrale au théâtre de la Grèce antique. S’ensuivent des innovations nous rapprochant pas à pas de l’ère théâtrale contemporaine et de l’utilisation des nouvelles technologies.
Sous ce nouvel angle de vue, le choix d’un casting d’individus ne disposant d’aucune formation théâtrale prend tout son sens et l’on retrouve, dans cette exploration des techniques de mise en scène, de jeu et de dramaturgie, la même innocence qui guide les pas des quatre personnages dans leur démarche de création d’un système nouveau. Cette mise en abyme crée un subtil parallèle entre la vie, comprenant un début et une fin, et le principe même de la création théâtrale. De quoi titiller les sens des amateurs de théâtre éclairés comme des novices.
Profond sans être pesant, léger sans être creux, Germinal est un spectacle aux multiples facettes. Avec un rythme soutenu et beaucoup d’humour, il mêle une réflexion philosophique poussée à une mise en abyme finement exécutée. Superbement menée de bout en bout, l’œuvre d’Halory Goerger et Antoine Defoort nous offre, pour terminer ces 1h15 de plaisir, une conclusion digne d’une dissertation philosophique. Germinal se joue régulièrement sur divers scènes d’Europe et du monde, s’il passe près de chez vous, n’hésitez pas une seule seconde !