Nous sommes dans un rapport de force, un huis-clos, entre Carol, une étudiante universitaire et son professeur John. Alors que Carol aborde son professeur en aparté pour larmoyer sur son incapacité à comprendre le cours, John lui promet une bonne note si elle vient le voir régulièrement. Carol juge la proposition indécente et décide de porter plainte pour harcèlement auprès des autorités universitaires alors que John, marié et père de famille, attend d’être titularisé et qu’il est en pourparlers pour l’achat d’une maison. John se sent piégé mais ses efforts pour récupérer la situation se solderont par un acte de violence face à l’implacabilité de Carol.
Spécialiste des mécanismes de manipulation, David Mamet, tel un virtuose du yo-yo, nous embarque dans un ascenseur où jeu de pouvoir et légitimité se disputent la part du lion. Carol se présente de prime abord comme une jeune femme fragile, ce qui réveille le paternalisme et le machisme de John. Sûr de lui, il dévoile ses cartes à livre ouvert. Beaucoup moins spontanée, on voit alors Carol, l’étudiante perdue, se transformer en égérie intransigeante du droit à l’égalité des chances. Forte de son appartenance à un groupe d’étudiants qu’elle s’arroge le droit de représenter, elle impose des conditions inacceptables à John pour le rachat de sa plainte. C’est en véritable juge qu’elle accule John dans ses deniers reflexes de défense.
Le suspens de la pièce réside dans la situation de précarité de John qui devient un jouet dans l’enjeu dialectique. Le spectateur quant à lui est tiraillé entre indignation, bien-fondé de la revendication et un sentiment de malaise qui atteint son point culminant dans la dernière réplique de Carol. Car au fil des rencontres entre John et son étudiante, on se demande qui est véritablement manipulé.
Alors que le mouvement #Me Too libère la parole des femmes qui ont été sexuellement abusée, la pièce de Mamet explore cette zone trouble dans les rapports de force où la manipulation se teinte d’une certaine ambiguïté. La pièce est géniale en ce que la fin inverse totalement les rôles. L’intolérance et la provocation de Carol face à la situation désespérée de John montre la césure entre l’idéalisme d’un monde parfait débarrassé de toute forme de domination sexiste et la réalité où en dépit de la bonne volonté des uns et des autres, certains schémas sociaux solidement ancrés sont impossibles à effacer du jour au lendemain.
Le nom de la pièce Oleanna fait d’ailleurs référence à une communauté hippie fondée en Norvège par un certain Ole Bull sur un modèle paradisiaque totalement utopique.
Mise en scène figée et sobre d’un auditoire, deux comédiens placés en situation de compétition verbale (Juliette Manneback et David Leclercq), la pièce interpelle laissant chacun libre de prendre parti ou de laisser place au dialogue et à la tolérance.
Palmina Di Meo
Crédit photo : IsabelleDeBeir et KimLeleux
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