Obsolete
Alice Hubball, Marie Lecomte, Hervé Piron mènent chacun de leur côté une carrière d’acteurs, et à trois un travail de recherche personnel au sein du Collectif Rien de spécial. C’est sous ce label qu’ils participent en 2011 et 2013 au festival XS et qu’on trouve à leur actif, deux spectacles Jeunes Publics, Superoupas qu’ils créent au Grand Bleu à Lille, et Pourquoi faut-il mettre un bonnet quand on sort de la piscine à la Montagne magique. Mais leur spectacle le plus marquant est sans conteste In Vitrine, qu’ils créent à Océan Nord, et qui reçoit plusieurs prix de la presse et du public. Au départ d’une soirée minutieusement organisée pour fêter un anniversaire surprise, ils questionnent ce qui reste à attendre si tout est attendu et réglé à l’avance.
Les thèmes de leurs spectacles sont toujours liés à leur vie dans ce qu’elle a d’ordinaire et de quotidien. « Rien de spécial » en somme, mais ils poussent si loin leurs interrogations qu’à la fin la réalité se déréalise et se transforme étonnamment, étrangement. C’est là que leur théâtre entre en jeu, un théâtre sincère, lucide et plein d’humour, qui considère le public comme un partenaire. Ce dernier a effectivement toujours un rôle à jouer puisque leurs créations sont des miroirs de nos propres vies. Dans Obsolète, c’est à l’inertie face aux menaces de plus en plus pressantes du futur qu’ils s’intéressent. Pourquoi est-il si difficile de changer le monde, alors qu’on le veut pourtant ?
Tandis que les poissons meurent dans les rivières, que les ours blancs se noient sous la banquise et que les agriculteurs se suicident, Alice, Marie et Hervé culpabilisent dans leurs cuisines. On leur dit chaque jour que ça va un peu plus mal, que la planète se réchauffe, que la bourse et les banques ont ruiné un nouveau pays, que l’air est de moins en moins respirable, que les gros sont plus gros, les petits plus petits, et eux, tout ce qu’ils peuvent faire c’est trier leurs déchets, remplacer leurs vieilles ampoules par des leds, traquer les labels bio sur les étiquettes, signer une pétition sur Avaaz.org et la forwarder à leurs contacts.
Ils n’en peuvent plus de culpabiliser, d’angoisser, de regretter. Ils n’en peuvent plus non plus de leur mauvaise conscience quand ils enfilent un jean non éthique de H&M délavé au Bengladesh, pour monter dans leur Renault Twingo diesel et aller manger des sushis au thon. Ils veulent agir, se confronter à ce futur bousillé, sans animaux, sans pétrole, sans électricité, sans couche d’ozone, qu’on leur brandit sous le nez depuis qu’ils sont petits. Ils en rêvent, ils y aspirent, même si leur vie doit être apocalyptique, pour enfin et peut-être devenir conséquents et être dans l’action.
Et les voilà – magie du théâtre – après « La grande coupure », héros pleins d’énergie, humains prêts à ne reculer devant aucun sacrifice, et acteurs au centre de toutes les attentions.
Avec Obsolète, Alice Hubball, Marie Lecomte, Hervé Piron signent une projection théâtrale dans un temps où toutes les catastrophes qui sont annoncées aujourd’hui se sont réalisées. Ils nous font jouer à saute-mouton avec nos petits accommodements, notre double langage et la relativité de nos engagements pour nous plonger dans un inconfort où il convient d’assurer les moyens de sa survie. Perdus dans ce monde aussi inconnu que programmé à l’avance, Alice, Marie et Hervé sont surprenants de ressources et d’inventivité. Mais tiendront-ils jusqu’au bout ?
Distribution
Jeu, conception et mise en scène Alice Hubball, Marie Lecomte, Hervé Piron
Lundi 18 avril 2016,
par
Julie Lemaire
Tout va bien, tout va mal… L’illusion est totale
Ils sont trois : potes, collègues, acteurs engagés pour faire une pièce sur l’écologie. Une voix off les présente : l’une est anticapitaliste mais fait de la pub pour une banque (il faut bien gagner sa vie) ; l’autre est fille de fermiers, aime la bonne nourriture, mais fait de la pub pour du fromage industriel ; le troisième, infatigable du vélo pliable et amoureux de la nature, promeut la nouvelle voiture de cette marque aux scandales écologiques. De ces paradoxes humains naît tout le propos, mais aussi l’humour de la pièce, puisque nous sommes tous ces trois comédiens…
En effet, que faire de notre belle conscience écologique, de toutes ces infos anxiogènes que l’on ne peut plus ignorer mais qui font de nous des monstres dès qu’on tend le bras pour consommer ? Que faire de nos belles envies de changer le monde quand tout, mais tout, est à remettre en question ?
Entre les dentifrices au fluor, les produits d’entretien qui rendent stériles, la literie des enfants bourrée de produits toxiques, les OGM, la fin du pétrole, etc. etc., difficile de parler d’écologie sans devenir dinguo ni effrayer le public, qui se voit en miroir sur la scène, projeté jusqu’en 2070, dans une nuit éternelle, hommes préhistoriques du futur dans un bidonville de plastique…
Heureusement, comme Blanche-Neige, après cette vision apocalyptique à laquelle personne ne veut encore croire, on croque la pomme 24 fois génétiquement modifiée, en se disant : « je suis sûre que nous allons trouver des solutions, et que tout finira par s’arranger ». Malgré quelques longueurs, ce spectacle est une magnifique illustration de nos dilemmes mentaux, de ces questionnements impossibles pour tenter d’être dans ce monde en conscience.
Julie Lemaire
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