Des images d’archive montrent la petite Claire à l’émission « L’École des fans ». Ses parents ne sont présents pas dans la salle, ils travaillent comme ouvriers, son père dans une cave, sa mère dans un frigo. La grand-mère a fait le déplacement, avec la chienne Dolly. Quelques années plus tard, Claire, 45 ans, lunettes et coupe de cheveux identique, est voltigeuse équestre à la recherche d’un emploi. La préposée qui traite son dossier est de très mauvaise humeur et pas franchement motivée d’autant que la chômeuse n’entre dans aucune case, même si elle a le permis calèche.
Un boulot « tout à fait dans ses cordes » va lui permettre de se reclasser dans un Bureau des Objets trouvés où elle est accueillie par ses nouvelles collègues. Christelle 35 ans, travaillait comme spécialiste des thrillers suédois avant que la section scandinave de la bibliothèque ne soit fermée, faute de budgets. Teresa, 55 ans, ancienne chauffeuse d’autobus, a été licenciée parce qu’elle récitait des poèmes au micro de son véhicule et était trop serviable avec les « petits vieux » qu’elle transportait.
Ces trois trajets de vie aboutissent dans le sous-sol d’une administration, hors du monde qui poursuit son chemin derrière les vitres des oubliettes, à hauteur du trottoir. Les trois femmes reléguées, jetables et jetées, prennent soin des objets trouvés - ou perdus, c’est selon – et tentent de leur créer une nouvelle vie, comme elles. Après avoir trié les gants solitaires par taille, homme, femme, enfant, elles exhument le contenu des sacs de piscine pour improviser un ballet aquatique. Les peluches orphelines de leurs enfants sont encore emplies de rires et de souvenirs et n’hésitent pas à « ronronner » dans les bras qui les câlinent tandis que la chienne Dolly montre qu’elle n’a rien perdu de sa splendeur dans son numéro de cabaret.
Mêlant théâtre d’objets, vidéo, marionnettes et actrices (Audrey Dero, Sandrine Hooge et Catherine Mestoussis) bien vivantes, « Normal » explore la réalité de personnes fragiles malmenées par la machine sociale, des oubliées de la société comme l’ont été, un moment, les objets trouvés. Isabelle Darras (qui pour une fois n’est pas sur scène) considèrent les objets comme de véritables partenaires de jeu. La création du spectacle, passablement contrariée par la crise sanitaire, s’appuie sur une recherche de terrain dans de véritables bureaux des objets trouvés. Des endroits où, dit l’auteure et metteuse en scène, travaillent, dans une grande solitude, à l’abri des regards, des personnes dévouées qui veulent vraiment bien faire les choses.
La pièce passe d’un langage à l’autre au gré d’une écriture cinématographique - Élisabeth Ancion qui partage l’écriture et la mise en scène est, par ailleurs, scénariste (et costumière) -sans nécessairement expliquer, revendiquer, le sujet principal de l’œuvre qui porte sur la condition humaine. Les idées, les trajets de vie sont juxtaposés dans un kaléidoscope décalé où fiction et poésie parlent de survie. Parce que « l’imaginaire, Isabelle Darras en est convaincue, est un acte de résistance qui sauve de tout ».