Qu’est-ce que créer ? Qu’est-ce que réussir sa vie ? Est-ce que le prix à payer pour une réussite est d’échouer dans tout le reste ? Autant de questions que se pose cette galerie de personnages brillants et sombres, tourmentés et à côté de la plaque. D’emblée, on est emporté par des scènes de famille emplies d’amours violentes et complexes, où chacun aime et torture selon ses peurs, ses obsessions et ses regrets : peur de vieillir, d’être insignifiant, obsession de la gloire et de ce qui brille, regret d’être seul. Pierre Verplancken livre un très beau Konstantin, enfant sombre et tourmenté, en quête d’absolu, ou peut-être juste de reconnaissance. L’action va et vient du passé au présent, sans cesse et sans heurts. Au fil des flash-backs se reconstitue la trame épaisse et rugueuse de ce drame. Ici, la famille est une oeuvre d’art, et l’art une affaire de famille. Chacun essaie de s’emparer de ce trophée qu’est le dernier mot, et les egos d’artistes s’entredévorent. Florence Hebbelynck est parfaite en actrice tyrannique, à la fois femme-fleur vieillissante et mère rongée de remords. Juste après la mort, les souvenirs affluent de partout, comme des fantômes, tirés de la mémoire des personnages ou de celle de l’ordinateur portable du défunt. Le spectateur a l’impression qu’on lui a vidé sur les genoux, en vrac, tout le contenu de l’album photo de la famille. Il regarde les clichés, dans le désordre, capte ça et là une allusion, une insinuation, sans avoir les clés. Mais au final, un portrait se dégage, portrait qui, s’il n’est pas complet, a le mérite d’être limpide. On peut regretter que la mise en scène, bien qu’efficace, cède aux gimmicks à la mode cette saison : écrans semi opaques dont on se joue pour faire des effets d’ombre ou de flou, carré de sciure au centre de la scène figurant un espace de jeu. Mais dans l’ensemble, et malgré quelques longueurs, on passe un très beau moment.
Cindya Izzarelli