New York
Sur le quai d’une gare désaffectée, tard dans la nuit, Max revisite son passé et fait la rencontre d’un curieux chef de gare en mal de voyageurs...
Max a trente-cinq ans. L’âge qu’avait André, son père, lorsqu’il a décidé d’en finir avec la vie en se jetant sous un train. Nous retrouvons Max sur le lieu même où s’est produit cet événement : une gare aujourd’hui désaffectée. Il est tard, c’est la nuit. Il est seul avec un père imaginaire qu’il a convoqué pour tenter de comprendre cet acte qui a conditionné toute sa vie. Malheureusement, les fantômes du passé ne savent rien de plus, du moins en apparence, que ceux qui les imaginent. C’est précisément ce que le défunt tente de lui expliquer en vain. Max se repasse donc inlassablement le film du drame quand il fait la connaissance d’un curieux chef de gare dont la présence incongrue dans ce lieu désolé vient perturber son délire.
Avec Alexandre Crépet, Emmanuel Dekoninck et Alexis Goslain
Mercredi 7 janvier 2015,
par
Laura Bejarano Medina
Retour vers le passé
Lauréat du Prix de la Critique 2010 et du Prix du Meilleur Auteur belge 2012 décerné par l’Académie française de Belgique, Dominique Bréda revient au Théâtre des Martyrs, après une tournée à succès, avec son spectacle « New York ». Écrite et mise en scène en 2010, cette comédie fantastique nous fait voyager au cœur de l’imaginaire, enrobant les souffrances de l’existence d’un humour noir et cynique.
Sur le quai d’une gare vide et désaffectée, un homme assis sur un banc semble perdu dans ses pensées. Il s’appelle Max, il a trente-cinq ans, l’âge qu’avait son père lorsqu’il s’est suicidé en se jetant sous un train. Max se trouve à l’endroit même où ce drame s’est produit. Enfermé dans un passé douloureux qu’il cherche à comprendre, il revit inlassablement le suicide de son père jusqu’à ce qu’un curieux chef de gare vienne troubler son délire nocturne.
Délicieusement comique, « New York » nous prend à témoin du dialogue surréaliste que Max entretient avec le fantôme de son père et le souvenir d’un chef de gare, tous deux fruits de son hallucination prolongée par l’alcool et les médicaments. Sans cesse ponctué et interrompu par la vision cauchemardesque du père qui se jette encore et encore sur les rails, ce soliloque déguisé donne naissance à des situations décalées et absurdes, qui font rire ou sourire dans une atmosphère pourtant pathétique et pesante. Soutenu par la justesse d’interprétation d’Alexandre Crepet, Emmanuel Dekoninck et Alexis Goslain, « New York » s’enrichit de personnages aux personnalités touchantes ; Max, l’écrivain maudit, paumé, sarcastique et en colère (Alexis Goslain), le chef de gare, attendrissant, niais, bavard et envahissant (Emmanuel Dekoninck) et le père, sensible et bienveillant (Alexandre Crepet).
En quête d’un juste équilibre entre la comédie et le drame, Dominique Bréda utilise le rire pour prendre de la distance par rapport aux événements tragiques et traiter un sujet difficile sans baigner dans les lamentations ou les grands élans sentimentaux. À travers un rythme qu’on voudrait peut-être plus tranchant et plus alerte pour un spectacle qui repose sur le verbal, « New York » nous raconte la perte de repères, la solitude et la rancœur d’une âme prisonnière d’un passé qui a conditionné toute sa vie, tiraillée entre une enfance gâchée et un présent qui n’en peut plus d’attendre.
Spectacle drôle et émouvant, « New York » nous parle de la mort, du deuil et des blessures que le temps n’efface pas. Du délire à la lucidité, de l’ironie à l’émotion, de la rancœur au pardon, Dominique Bréda nous invite à monter dans ce train imaginaire pour New York, laissant le libre choix au spectateur intimidé de rester à quai et au spectateur fasciné d’embarquer vers le surréalisme.
Laura Bejarano Medina
Mercredi 4 mai 2011,
par
Jean Campion
Un Deuil refusé
Pour Dominique Bréda, " La comédie nous permet de mieux regarder le réel en face, comme un manteau nous permet d’affronter la tempête." Dans "Purgatoire", il observe l’Homme face à son destin, avec un regard tolérant et un goût prononcé pour l’absurde et la dérision. Dans "New York", il se sert également du prisme déformant de l’humour, pour nous parler de la mort et du sentiment d’abandon qui en découle. Une pièce subtile, émouvante, qui évite tout pathos.
Une cannette de bière à la main, le visage tendu, un homme déambule lentement. Il boit une gorgée, avale une pilule, abrège un coup de fil. Tout à coup, un homme avec un attaché-case est assis près de lui. C’est son père. Max le presse de questions. Il voudrait comprendre pourquoi, à trente-cinq ans, il s’est jeté sous un train. Incapable de l’éclairer sur ce drame vieux de vingt ans, celui-ci le pousse à larguer le passé et à prendre sa vie en main. Peine perdue. Le fils bute désespérément contre l’énigme et s’incruste dans la gare, témoin du suicide.
Avec une bonne volonté désarmante, le curieux chef de cette gare désaffectée prétend l’aider à résoudre "ses problèmes". Il réchauffe des souvenirs d’enfance, mais ne l’arrache pas à son obsession. Sombrant dans l’alcool et la drogue, Max se laisse apprivoiser par ses hallucinations et s’enfonce dans un rêve éveillé, où se bousculent paradis perdu, doutes, reproches et frustrations. L’image du père se précipitant vers le train revient en boucle. Tenaillé par des questions sans réponses, Max n’arrive pas à se raccrocher à sa femme ou à sa mère.
Grâce à son humour caustique ou tendre, Dominique Bréda nous sensibilise délicatement à cette recherche douloureuse. Rien de larmoyant, mais des séquences courtes, maîtrisées, parfois surprenantes. Comme ce ballet clin d’oeil sur le "New York, New York" de Frank Sinatra ou cet aveu de Max, qui vomit l’entreprise capitaliste merdique, symbolisée par " la souris aux grandes oreilles", mais qui reste attaché à ... son Mickey.
Pour donner de la légèreté à ce spectacle et alterner rire et émotion, l’auteur, qui signe aussi la mise ne scène, a pu s’appuyer sur le talent et la complicité de comédiens qui se connaissent bien. Dans la peau du chef de gare naïf, plutôt collant, Emmanuel Dekoninck est un ange gardien attendrissant. Par ses mimiques, ses silences, ses étonnements, il souffle un vent de fraîcheur sur ce drame. Alexis Goslain fait de Max un homme seul, agressif, nostalgique, paralysé par sa lucidité et incapable d’accepter la réalité. Fantôme impuissant, le père, incarné par Alexandre Crépet, ressent la souffrance de son fils, mais ne peut que regretter : "J’aurais aimé que cela se passe autrement."
Jean Campion
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