Le texte, Notre D(r)ame, publié aux éditions Lansman, est inspiré par la terrible catastrophe de l’incendie de Notre Dame du 16 avril 2019. L’hubris démesuré de l’homme moderne fut incapable d’empêcher la toiture, la charpente et la flèche conçue par Violet Leduc de se transformer en brasier. Restaient seulement le désespoir des pierres, les voix effarées des gargouilles et des chimères de la cathédrale dont Thierry Debroux semble avoir pu surprendre les mystérieuses conversations et les craintes d’une reconstruction hâtive.
L’univers imaginaire inventé par l’auteur est magique : les époques conversent ensemble comme si elles étaient au paradis. Le temps est dilué, l’immortalité de l’œuvre de Victor Hugo et de la Cathédrale, se confondent avec une histoire d’amour contemporaine d’une jeune danseuse hip hop en mal d’amour, prête au suicide et qui n’a jamais entendu parler de la Belle Esmeralda. L’œuvre de Victor Hugo bondit sous les yeux de la vivante cathédrale qui trône au centre du plateau : on se gorge d’émotions à chaque tour de la cathédrale sur elle -même, entendez, chaque fois que l’une de ses façades égrène heures et jours différents. Non sans rappeler les façons de Monet, le grand maître des lumières impressionnistes. Ah quelle superbe rosace !
Dans une harmonie à tomber, les comédiens jouent dans la joie, avec une énergie décuplée par les privations subies depuis deux ans. On assiste à une espèce de renaissance sur ce plateau où ils se montrent franchement éblouissants.
Comme si, l’espace d’un spectacle, on pouvait jusqu’à oublier la pandémie.-
Les changements de scène se font sans le moindre bruit, ils sont d’une fluidité remarquable et de même pour les passages entre le jeu et le narratif. On se trouve au cœur de l’art vivant. Prenez le mouvement imprimé à la corde qui meut la cathédrale, ne fait-il pas fait penser à des gestes de batelier ? Ne sommes nous pas, à Paris ou à Venise, tous sur une nef des fous ? A moins que l’on soit plus d’humeur à y voir le mythe de Sisyphe.
Un art consommé de la concision et de la polysémie anime le créateur. L’œuvre fleuve de Victor Hugo se retrouve exposée en 1H25 SANS ENTRACTE. Tout y est. Oui, on est gratifié d’un authentique élixir de magie théâtrale.
D’un côté, il y a le peuple de pierres séculaires, les chimères de Violet Leduc, avec le dénommé stryge, le « démon pensif », sous l’apparence d’un buste de femme oiseau aux yeux en escarboucles, et de l’autre les antiques gargouilles du Moyen-âge gothique. Ces impressionnantes marionnettes se font la conversation avec les voix des personnages principaux. Didier Colfs papillonne entre le détestable prêtre lubrique Claude Frollo, le Stryge, un rat de la cour des miracles, un juge répugnant, et … un quidam de la foule des manants. C’est un bouleversant Stéphane Fenocchi qui s’empare du personnage monstrueusement attachant de Quasimodo, il fait la gargouille 23, se mue en corbeau maléfique avant de rejoindre lui aussi lui aussi la foule. Le vaniteux Phoebus, sous les traits de Mickey Bicar, se transforme en gargouille 52 , ramasse les oripeaux de Clopin Trouillefou et fait un innommable avocat de la défense qui ne trouve rien à dire. Enfin, Marc Laurent, le Poète Gringoire en grand échalas égaré dans la cour des miracles se glisse dans la gargouille 37 – allô mademoiselle 36-37, votre prénom c’est bien Juliette – avant de tomber pour la très radieuse, l’incomparable Marie Phan qui a accepté de jouer le rôle stupéfiant d’Esméralda, avec son adorable chèvre, ton sur ton avec ses jupes de bohémienne. L’énergie de ce spectacle est au zénith, vous fait un bien fou et vous raccommode avec toute la tristesse du monde.
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