La neige tombe derrière une vitre embuée. Entre deux crachotements, un poste de radio diffuse une rumba congolaise. Au milieu de la pièce dépouillée, une malle métallique exhale le souvenir d’un long et lointain périple. Une voix apostrophe « Vincent, c’est vrai que tu es né en Afrique ? Comment ça se fait que t’es pas noir ? » Il a beau être né au Burundi, Vincent Marganne restera là-bas un muzungu, un homme blanc, un étranger.
Le temps passe comme une flèche, il se revoit en 1972 lorsque sa famille quitte Bujumbura pour rentrer définitivement en Belgique. La famille rentre mais ce n’est pas un retour au pays pour l’enfant qui est né et a passé les sept premières années de sa vie en Afrique. Son pays, c’est le Burundi, la Belgique c’est juste la terre des vacances. Et le défi n’est pas seulement de revenir d’Afrique et d’affronter le froid des vrais hivers en culottes courtes.
L’écriture de « Muzungu » prend naissance après la découverte, en 2012, dans le grenier familial à Stavelot, de douze bobines de films 8 mm et super 8, quatre heures trente d’images tournées par le père de Vincent Marganne, entre 1963 et 1975. Une sélection de ces images projetées en toile de fond égrène les souvenirs de cet « âge où l’on naît à chaque instant », le Collège du Saint-Esprit, la piscine, le projet du paternel de créer et d’entraîner une équipe de basket, les Kiriri Boy’s qui enchaîneront les titres. Mais Vincent Marganne se demande où sont ses souvenirs, tout ce qui n’a pas été filmé, les voix, les sensations, la chaleur moite, le fracas des pluies, l’insouciance et l’innocence de l’enfance ?
Le père a effectué son premier voyage en Afrique en 1963, avec celle qu’il a épousée un mois auparavant. Ils ont 22 et 23 ans. Objecteur de conscience, il part effectuer un service civil comme professeur de mathématiques et de sciences dans cette ancienne colonie qui vient d’accéder à l’indépendance un plus tôt. Coopérant donc pas colonial, ce qui n’empêche pas d’avoir des boys à la maison.
L’année 1971 est marquée par la tournée de l’équipe de basket en Belgique, elle marque aussi le début du compte à rebours. En avril 1972, des groupes hutus tentent de prendre le pouvoir. L’insurrection est réprimée au prix de massacres qui feront de 100.000 à 200.000 victimes.
Parmi les souvenirs surgissent aussi les événements, le couvre-feu, des cadavres allongés dans l’herbe à un barrage routier, les trois membres de l’équipe de basket menacés qui recevront l’aide du père dont les prises de position le pousseront vers la sortie et le retour au pays.
Dans un propos centré sur le rapport à l’enfance, au père, à la famille, à l’Afrique, Vincent Marganne s’interroge sur ses racines et son héritage. Sans faire l’impasse sur ce déchaînement de violence notamment par le témoignage d’un de ces trois garçons, devenu aujourd’hui grand-père, dont le récit est porté par le comédien belge d’origine guinéenne et angolaise Edson Anibal, présent tout au long de la pièce. Ainsi l’homme noir né en Europe fait contrepoint à une parole sur l’Afrique écrite par un homme blanc né en Afrique. « Aucun muzungu ne peut se soustraire au fait d’être muzungu ».
Didier Béclard
« Muzungu » de Vincent Marganne, mise en scène de Serge Demoulin, avec Vincent Marganne et Edson Anibal, jusqu’au 12 juin au Rideau de Bruxelles, 02/737.16.01, www.rideaudebruxelles.be.
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