En 1892, alors jeune trentenaire, Feydeau voit trois de ses pièces triompher à Paris : « Le système Ribadier », « Champignol malgré lui » et « Monsieur chasse ! ». Dès l’adolescence, il s’était essayé à l’écriture de courtes pièces et de monologues, qui lui valurent notamment les encouragements de Labiche. L’élève dépassera le maître en perfectionnant l’observation des personnages, en rajeunissant le verbe, en accélérant le rythme et en multipliant les inventions burlesques. Ces caractéristiques porteront sa célèbre mécanique du rire à un tel paroxysme qu’on peut y voir une préfigure du théâtre de l’absurde et d’un esprit surréaliste. Quiproquos et coups de théâtre sont autant de gags qui s’enchaînent à un rythme effréné, cadencé par les pitreries bouffonnes des uns et les clowneries cocasses des autres.
Les auteurs antiques décrivaient déjà dans leurs traités de cynégétique le fait que la chasse est un art difficile. Et la critique journalistique est véritablement aisée (pour paraphraser Destouches) quand elle sert une talentueuse distribution de bêtes de scène. En effet, pour sa mise en chasse vaudevilesque, Bernard Lefrancq, qui a plus de flair que Cassagne, a rassemblé une meute d’habitués.
Michel Poncelet est un Duchotel parfait, qui ne part pas vraiment à la chasse, et ne perd pas vraiment sa place. Il perd tout au plus son pantalon, et quelques billets de banque - pour faire taire son franc-tireur de neveu. Passé maître ès braconnage, ce menteur de Duchotel piège aussi adroitement qu’il se fait habilement piéger à son tour, par sa femme Léontine. Un point partout au tableau de chasse. C’est Perrine Delers qui incarne ladite Léontine, laquelle s’improvise en Diane chasseresse, piquée au vif par l’amour-propre. Blessée, l’appel du corps sonnant, la biche en chaleur se laisserait bien mettre en joue par le rabatteur Moricet. Mais la phase d’approche est une aventure pleine de pièges qui la fait trembler de peur. Ayant attendu la période d’ouverture de la chasse en faisant hypocritement le guet, le docteur Moricet/Pierre Pigeolet se lance à la poursuite inlassable de ce gibier pourtant « chasse gardée ». Ce pécheur a beau appâter sa proie avec ses vers romantiques, il a bien du mal à la capturer, restant sur la touche. Et Pan ! En plein dans le mille de la frustration : il ne tirera pas sa cible…aidé malgré lui dans son ratage par une Madame de Latour qui en a plus d’un dans sa besace ! Angélique Leleux joue cette concierge bavarde et décalée comme la tour de Pise : elle vise à côté, et du coup, elle vise juste. Elle ouvre les portes de gauche quand il faudrait ouvrir celles de droite. Dans l’entrebâillement apparaît alors Marc De Roy en gendarme Bridois, là où, précisément, il ne devrait pas se trouver. Dans sa traque à la bête cachée, ce redresseur de torts en uniforme ressemble à un garde forestier qui croit connaître la forêt par cœur... Mais dans celle-ci, surgit régulièrement Gontran, le neveu qui s’en met plein les poches, rusé comme le jeu du renard Jean-Paul Clerbois. Perdu dans les sentiers battus de ce grand jeu de piste, Robert Roanne, le majordome, a préféré troquer ses cartouches bourrées contre des carafes d’alcool aussi remplies qu’il est, lui aussi bien bourré.
Vous l’aurez compris, cette battue est menée au quart de poil par des tireurs chevronnés.
Si Lafontaine et Feydeau s’étaient croisés, on pourrait dire à la manière de la chanteuse Mireille, qu’ils se seraient raconté des histoires où bestialité et morale ne font pas bon ménage (à trois). A courir deux lièvres à la fois, on rentre bredouille.
Céline Verlant
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