Money !
Après Grow Or Go et Une société de Service, Françoise Bloch s’attache à remonter toute la chaîne de l’organisation du travail jusqu’à son but ultime : le travail de l’argent, la performance financière. Comment la nécessité de toujours maintenir ou augmenter celle-là impose l’extrême mobilité des travailleurs, la compression des espaces, du temps, la compression des hommes (désormais envisagés comme ressources ou comme capital). Avec ses comédiens, elle a mené un travail documentaire fait de rencontres, d’interviews, de lectures et visionnages pour décoder le vocabulaire si particulier de la concurrence, un langage, dit-elle, « fait de mots qui recouvrent et dissimulent la violence des réalités ». Son propos se construit comme un paysage, une suite de fragments, de saynètes qui finissent par faire sens. Du théâtre salutaire à une époque où les médias ne parviennent plus à jouer correctement leur rôle, et qui évite la caricature en restant à hauteur d’hommes.
Mise en scène Françoise Bloch Avec Jérôme de Falloise, Benoît Piret, Damien Trapletti et Aude Ruyter. CREATION | Zoo Théâtre, Théâtre National/Bruxelles, Théâtre de Liège, L’ANCRE/Charleroi
Du 8 au 19 octobre à 20h30, les mercredis à 19h30, le dimanche à 15 h, relâche le lundi Prix : 19 € - 15 € - 10 € - Réservations : 02/203.53.03
Dimanche 9 novembre 2014,
par
Blanche Tirtiaux
Money makes the world go round
L’intelligence est sans objet face au goût du profit. Mais qui se cache derrière les mécanismes opaques du grand méchant système économique ? Le dernier spectacle de la compagnie Zoo Théâtre, « Money », récompensé il y a quelques semaines par le prix de la critique, renverse et met à plat les logiques absurdes qui régissent le monde de la finance en interrogeant la responsabilité individuelle dans le désastre économique mondial. Et vous, qu’en est-il de votre plan épargne ?
La finance nous échappe, la spéculation nous dépasse et les guerres monétaires nous désespèrent. Françoise Bloch et sa compagnie pousse cependant la chansonnette plus loin en proposant avec son dernier spectacle une tentative de lecture du paysage économique actuel qui replace au centre du débat la question de la responsabilité. Derrière les actions il y a des investisseurs, derrière les bureaux de banque il y a des employés, en deçà de la complexité des chiffres, il y a des individus. Afin d’outrepasser la diabolisation d’un Système anonyme et désarmant, Money décortique le discours.
Quatre comédiens en costume trois pièces derrière des bureaux se mouvent dans un espace scénique dépouillé, slalomant sur des chaises à roulettes entre les cours de la bourse. Afin de nous introduire au b.a.-ba de la science économique, ils deviennent alternativement banquiers à la langue de bois, directeurs financiers ou clients naïfs. On plonge ainsi dans l’univers des multinationales, bercés par le doux ronron de mots tels que SICAV, fond d’investissement, avenir, projet, avantage, et autres plans pension. Emportés par une mécanique rodée et pleine d’allégresse, nos yeux écarquillés rient devant la succession de tableaux vivants et chorégraphiés qu’incarnent les comédiens.
Car outre l’intérêt énorme du spectacle sur le plan du contenu – un travail convaincant et largement documenté – tout l’art de Money réside dans la force et l’énergie de sa mise en scène et de sa scénographie. L’absurde des situations nous sauve de la crise de larmes et nous invite au questionnement, tandis qu’une utilisation de la vidéo souvent réussie permet quelques respirations au cœur du bilan affligeant que dresse la pièce. Et pour jongler avec ce sujet audacieux, les acteurs maintiennent avec brio humour et cynisme. On retiendra particulièrement la performance de Jérôme de Valloise, salué pour ses qualités de comédien par le prix de la critique lui aussi, ainsi que celle de Benoît Piret dont le monologue introductif nous invite avec une délicieuse ironie dans l’univers spéculatif.
Avec Money, le Zoo théâtre répond haut et fort par l’affirmative à la question de la possibilité de créer un théâtre engagé et éducatif sans ne devenir qu’un produit purement didactique dénué de sens artistique. Pour conclure, après la troublante poésie des dernières images, un prologue déroutant et original s’installe...7 minutes 30 pour trouver une solution au problème. De quoi vous donner l’eau à la bouche, non ?
Blanche Tirtiaux
Vendredi 11 octobre 2013,
par
Catherine Sokolowski
Message à haute valeur ajoutée
Faut-il nécessairement être sombre et triste pour dénoncer les dérives d’un système capitaliste défaillant ? Françoise Bloch prouve le contraire dans sa nouvelle création « Money ! », qui décortique les méandres de la finance sans s’y enliser. Un ton gai et enjoué, des acteurs souriants (et excellents), pour un sujet grave : « où va l’argent ? ». En sortant de ce tourbillon, plus moyen de rencontrer son banquier sans s’interroger. Du théâtre divertissant et militant, une autre façon d’appréhender la finance.
D’entrée de jeu, un citoyen lambda affirme qu’il devrait être condamné pour la violence dont il a fait preuve. Il détient une participation dans une société ayant provoqué une pollution importante au Nigéria et une autre dans une firme ayant licencié un de ses amis dans le but d’augmenter les dividendes qui lui reviennent. Il a constitué un dossier à charge et le tient à disposition.
Comment cet homme en est-il arrivé là ? Cet homme a suivi « la petite musique proposée par une banque colorée ». Cet homme a écouté la litanie des « mots à placer » : « argent », « avenir », « sécurité », « éthique »... Il a placé son capital dans des SICAV sans s’interroger sur la politique d’investissement sous-jacente.
Mais « cet homme sait qu’il ne sait pas ».
Des vidéos dérangeantes sont projetées en toile de fond, quelques chaises et tables meublent la scène. Les comédiens, rapides et précis (Jérôme de Falloise, Benoît Piret, Aude Ruyter et Damien Trapletti), se partagent les rôles de banquier, client, prospect, gestionnaire de fonds ou consultant. Et la danse folle de chaises et tables sur roulettes donnent le tournis, symbole d’enjeux financiers étourdissants et peu reluisants.
Comme le rappelle Mark Mobius, gestionnaire de Templeton (formidablement interprété par Jérôme de Falloise), le but n’est pas de promouvoir la solidarité. A chacun son métier. Les fonds (assimilés ici à des "hedge funds") doivent être rentables. Ces fonds n’ont cure des catastrophes provoquées par les sociétés dans lesquelles ils investissent et n’ont pas d’états d’âme lorsqu’il s’agit de soutenir le secteur militaire ou le rachat de contrats d’assurance-vie en spéculant sur des décès anticipés.
Alors les quatre vaillants comédiens tentent de trouver une solution. Car il n’est plus possible de fermer les yeux, de continuer à favoriser un système aussi condamnable. Il y a « dilution des risques, pas des responsabilités ».
Françoise Bloch, déjà metteure en scène de « Grow or go » et d’« Une société de service », deux créations qui stigmatisaient le monde du travail, étonne et impressionne par sa façon toute personnelle de témoigner des aléas d’une société à la dérive. « Money ! », fruit d’un travail collectif (avec les comédiens et les vidéastes), réveille les consciences. Un message à haute valeur ajoutée : un spectacteur averti en vaut deux !
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