Samedi 23 février 2008, par Jean Campion

Mon coeur n’est pas las de l’entendre.

Exploitant le cadre intime du Théâtre de La Clarencière, Frédérique Panadero nous invite dans un boudoir de l’époque Louis-Philippe, pour nous rendre témoins de l’inconstance des sentiments. Les conspirations féminines d’"Un Caprice" et le jeu de chat et de souris d’"Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée", orchestrés avec subtilité, confirment que Musset est bien le digne héritier de Marivaux

L’héroïne d’"Un Caprice", Mathilde de Chavigny, coud une jolie bourse rouge pour son mari. Elle le fait en cachette, car si elle l’avait confectionnée devant lui "cela aurait eu l’air de lui dire "Voyez comme je pense à vous", cela resemblerait à un reproche." Sentiment délicat, balayé par l’apparition d’une bourse bleue, exhibée par son époux. Celui-ci finit par avouer que c’est un cadeau de Madame de Blainville. Minée par la jalousie, qu’elle s’évertue à nier, Mathilde le supplie à genoux de la lui donner. En vain. Il ne cédera pas à cet enfantillage. Heureusement son amie, madame de Léry, espiègle et avertie, échafaude un plan ingénieux, pour venger l’humiliation.

Certes, la source de cette querelle peut paraître futile et les confidences à l’ouvrage de ses mains un brin puériles : "Tu seras pour moi une relique et je te porterai sur mon coeur ; tu m’y feras en même temps du bien et du mal." Mais on dépasse rapidement cette superficialité apparente pour percevoir les intermittences du coeur et écouter le chant cruel de l’amour. Tout en restant léger, Musset arrive à pénétrer dans l’intimité d’ un tourment, pour en exprimer les nuances.

Frédérique Panadero, dont la mise en scène est précise et efficace, incarne une madame de Léry énergique, autoritaire, rayonnante. Il faut la voir coacher son amie désemparée et surtout remporter une victoire éclatante sur le mari volage. Elle l’intrigue, l’appâte, le ferre et le désarme avec l’habileté d’un pêcheur chevronné. Par son détachement Marc De Roy suggère délicatement les sentiments contrastés , qu’il éprouve pour sa jeune épouse. Celle-ci, amoureuse inquiète, a du mal à canaliser ses émotions. Anne Mino exprime avec grâce cette fragilité.

Cette comédienne se montre moins à l’aise dans le proverbe "Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée". Elle y interprète une marquise coquette "assommée de compliments", qui prend un malin plaisir à jouer avec le coeur d’un amoureux transi. Excitant la jalousie de ce comte timide, elle le brave, le laisse se jeter à ses genoux, le désespère, sans jamais fermer totalement la porte à son amour. Dans le rôle périlleux d’un homme retenu par une force incontrôlable, Marc De Roy réussit à être plus émouvant que pitoyable. Mais Anne Mino ne contrôle pas toujours ses colères : un jeu plus retenu soulignerait l’ascendant exercé par cette femme de trente ans.

A vingt ans, Musset, vedette du romantisme, rêve d’être Shakespeare
et plaît aux femmes. L’échec cuisant de sa première pièce "La Nuit vénitienne" (1830) et ses déboires sentimentaux dissiperont ses illusions. Assagi, désenchanté, l’auteur d’"Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée" (1845) partage sans doute la philosophie douce-amère de son personnage : "Si l’amour est une comédie, cette comédie vieille comme le monde, sifflée ou non, est, au bout du compte ce qu’on a encore trouvé de moins mauvais."