Reprenons la genèse. Le collectif tg STAN se forme à la fin des années 80, fondé par Jolente De Keersmaeker, Damiaan De Schrijver et Frank Vercruyssen – qu’on retrouve dans Poquelin II – à la sortie du Conservatoire d’Anvers. Leur credo est d’appliquer un fonctionnement collectif total dans chaque prise de décision et de mettre en lumière le comédien dans sa force de création et d’interprétation : la démocratie et l’invention au pouvoir ! Dans le répertoire pluriel du tg STAN, on avait déjà vu apparaître Molière avec Poquelin en 2003. Quelques années plus tard, et après une création en néerlandais, Poquelin II est adapté dans sa version française, et joue sa première belge au Théâtre des Tanneurs.
La pièce, maintenant. Partant des textes de l’Avare et du Bourgeois Gentilhomme, joués tour à tour sur le même espace relativement nu (une estrade en bois sur et autour de laquelle gravitent les comédiens), la trame de Molière trouve une vibration nouvelle dans le verbe et la verve du tg STAN. Ici, l’on grossit les traits des jeux d’amour, les quiproquos, les caractères. L’avarice d’Harpagon (Willy Thomas) et le ridicule Monsieur Jourdain (Damiaan De Schrijver) se voulant noble sont accentués à l’extrême, rendant les intrigues à la fois cousues de fil blanc et désopilantes. Ce sont des éléphants dans des magasins de porcelaine, mais des éléphants distillant avec un rythme grandiose les saillies verbales de Molière et revisitant sa force comique à partir de la matière vivante du texte. Il faut voir le monologue de la cassette ponctué de grands gestes, la dérision des révélations avec ses grands "oh", ses gros "ah", ou le défilé farcesque des professeurs se jouant de la crédulité du bourgeois arriviste... Le grotesque trouve une plus belle expression encore par le truchement des costumes, mi-kitsch mi-absurde, et le jeu autour du français ancien dont on s’amuse des difficultés et des faux rythmes.
Le jeu, surtout ! C’est là le sel de ce spectacle : s’appropriant ces deux pièces classiques et leur portée burlesque, la place centrale est laissée au comédien. Et chacun, chacune sur cette estrade en bois semble prendre un malin plaisir à revisiter Molière, ses conflits verbaux, ses transitions exagérées, ses coups de théâtre. Poussés à leur paroxysme, les personnages caractérisés s’amusent d’eux-mêmes, et par là ce sont les comédiens qui s’amusent dans le jeu. Rayonnants, créatifs, extravagants, ils se partagent la scène avec une joie déjantée pour prendre et décaler la mesure du texte dans une liberté qui fait plaisir à voir. L’arrivée du consul turc et le mariage dansant illustrent bien cela : la comédie prend son élan sur le texte pour s’envoler à la faveur du jeu des comédiens, s’amusant de la langue et du théâtre de Molière.