Dominique et Corentin répètent la première scène du "Misanthrope". Dans un climat orageux. Narquois, Dominique félicite son partenaire pour sa pub "Carpetland" et l’agace par ses remarques sur le ton à adopter. Chamailleries aussi à propos de la langue du 17e siècle ou du "Paradoxe sur le comédien" : moins on sent, plus on fait sentir. La tension monte d’un cran, lorsqu’ils s’affrontent à travers leur personnage. Corentin partage l’idéalisme d’Alceste : "Je veux qu’on soit sincère et qu’en homme d’honneur, on ne lâche aucun mot qui ne parte du coeur."
Exigence inacceptable pour Dominique. A l’instar de Philinte, celui-ci tolère les hommes comme ils sont et se plie aux règles de l’hypocrisie sociale. Pas toujours cependant ! Corentin prend un malin plaisir à lui signaler que parmi les comédiens, qu’il avait démolis à la fin d’une représentation lamentable, figurait le protégé de Jean-Louis Robinet, un directeur de théâtre au bras long...
Les rounds suivants confirment leurs divergences. Il suffit d’une tournée en France pour que Dominique se voie en haut de l’affiche. C’est un cabotin qui joue les victimes de son succès et qui s’offre des poules de luxe dans les cinq étoiles. Corentin démystifie ces "triomphes" dans des petites villes provinciales et ne recherche pas d’aventures. Arrimé à son amour pour Bélinda, il se révolte contre la dissimulation et la médiocrité. Il faut le voir singer les niaiseries débitées par des pièces pour enfants ou critiquer vertement les écoles de théâtre. Trop d’acteurs jouent mal ou chantent faux ! Choqué par son intransigeance, Dominique s’efforce de nuancer sa vision de l’homme. En s’appuyant même sur les remords des SS, obligés de se soûler, pour poursuivre leur sinistre besogne. Peine perdue. Corentin ira jusqu’à payer de sa liberté son besoin de vérité.
Poursuivis par la poisse, ces comédiens nous déconcertent par leur autodérision. D’un ton sentencieux, ils récitent un chapelet de critiques percutantes, qui les ont assassinés. Imprimés dans leur mémoire, ces jugements blessants semblent doper leur résistance à la cruauté ambiante. Pourtant, à 40 ans, Corentin, condamné aux rôles minables, s’interroge : pourquoi persévérer ? S’exiler sur une île ne sera pas la bonne réponse. Fermant cette parenthèse douloureuse, il retrouve Dominique. Un ami bien décidé à l’entraîner dans ses rêves.
Bien sûr, les ombres de Philinte et d’Alceste planent sur les querelles entre Dominique et Corentin. Mais ces personnages ont plus d’atomes crochus que les héros de Molière. Les auteurs-interprètes les ont nourris de leur expérience professionnelle et dotés de leur humour grinçant, pour nous sensibiliser à leurs aspirations. En vivant leur passion du théâtre, ces comédiens, prêts à jouer gratuitement, se vaccinent contre un monde gangrené par l’individualisme, la compétition et l’obsession du profit. "Moi, votre ami ?" est une pièce alerte, subtile et qui, malgré son ambition, n’est pas prétentieuse.
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