Une fois donnés en pâture au public, les thèmes iront se balancer librement dans son imaginaire, lui qui devient, s’il se laisse faire, créateur à son tour, tout autant que l’est le metteur en scène lorsque celui-ci construit sa rencontre avec le texte. Le fil rouge c’est un outrecuidant chef de troupe à la Berlinoise nommé Hinkfuss.
Théâtre dans le théâtre, que voit-on sur l’écran noir de nos nuits blanches ? L’amour, la jalousie, la possession, la dispute. Le mystère ou le rêve dans la voix de cette femme voilée comme dans les tableaux de Magritte ? L’inversion des rôles puisque c’est Luigi qui fut en butte à la jalousie morbide de sa femme ? Un credo : l’énergie de l’acteur libère les doutes, les mensonges, les tricheries, la cruauté. La tyrannie des conventions sociales. La fourbe tyrannie du mâle : « Il voulait lui faire une surprise… » La robe de strass couleur rubis alanguie sur le tapis vert de la salle de jeu ou sur la méridienne verte flanquée d’un pouf répond mollement, absente de l’embrasement, tout à son désir d’un collier de perles et à ses rêves d’amants. Le drame couve. Soudain la comédienne prend le pouvoir et explose les artifices…à la manière d’Alice.Lewis Carroll ? Déchaînement !
Dans la tentative d’une représentation impossible, il n’y a néanmoins pas de couture apparente entre les pièces accolées du jeu de miroirs…comme chez Picasso et les autres de la même époque.
Heureux qui communique : on suit sur l’écran noir et blanc le visage, le regard de Mommina, devant une fenêtre ouverte sur un paysage, Magritte encore. Rico, Le mari qui la séquestre referme la fenêtre. Il ne veut plus qu’elle pense ou pire, qu’elle rêve. Prisonnière, elle lui échappe même s’il la brutalise. Ses sœurs, restées libres font scandale : elles chantent en public. Pendant qu’elle raconte à ses deux fillettes, l’histoire de cet opéra qu’elle chantait avec sa famille, des souvenirs heureux ressuscitent sous forme de marionnettes. Bonjour les géants de la Montagne ! Elle se met à chanter et meurt devant ses filles, sous l’émotion qui l’étouffe. Rico Veri la découvre morte et repousse le cadavre du bout du pied. Cruauté : Il l’a trompée en allant seul à l’opéra voir l’œuvre chantée par une de ses jeunes sœurs, Totina restée libre. Paradoxe de la comédienne : elle n’a plus de souffle et n’arrive pas à mourir… Le cauchemar ! Poignant.
On s’égare encore, l’ombre de Delvaux ou de Marceau se profile-telle ? Chargé de cadeaux pour sa famille, un personnage plein de certitudes a raté son train de trois minutes. Il rencontre ce malade qui porte une fleur funeste à la bouche…dévorante comme le nénuphar dans l’Ecume des jours. Il a besoin de s’attacher à la vie de gens qu’il ne connaît pas, pour ne pas mourir. « Moi Monsieur, je m’accroche à la vie par l’imagination. J’imagine la vie des gens que je ne connais pas et c’est bon pour moi ! La vie on l’oublie quand on la vit … mais la vie Monsieur … la vie … surtout quand on sait que c’est une question de jours … » Cauchemar. Edgar Poe es-tu là ? Non c’est Pirandello, Luigi de son prénom. Paradoxal de son surnom.
Freud enfin, es-tu là ? Ou Marcel ? "Dans les personnes que nous aimons, il y a, immanent à elles, un certain rêve que nous ne savons pas toujours distinguer mais que nous poursuivons."Le temps retrouvé. Voilà la visite de la mère, morte, coiffée d’un large chapeau impressionniste voilé. Scène où le fils pleure sa propre mort en elle. Désespoir de la solitude. Pour elle il ne sera plus jamais le fils ! Elle ne peut plus jamais le penser comme il la pense ! Bouleversant.
Très beau théâtre de réflexion sur l’incommunicabilité, vibrant de références, foisonnant de vitalité scénique et esthétique… toutes choses qui ne peuvent laisser indifférent. Art is life. Dixit Kandinsky.