Pascal Crochet, orfèvre du mouvement, cueille dans les mots d’Ovide la source
d’inspiration d’un spectacle total, sensoriel, illustration accomplie de l’incipit : « Je me
propose de dire les métamorphoses des formes en des corps nouveaux ».
Maxime Anselin nous parle de son expérience partagée en tant que comédien au sein de
la troupe du Théâtre en Liberté.
A partir d’un texte de l’Antiquité, « Les métamorphoses » d’Ovide, un recueil de 231
histoires, on parle de problèmes contemporains, Maxime, comment cette transmission s’est-elle produite ?
Maxime Anselin : L’idée vient d’Hélène Theunissen. Travaillant sur « Le songe d’une nuit d’été » dans lequel Shakespeare parle du mythe de Pyrame et Thisbée qui fait partie des Métamorphoses,elle avait été séduite par le texte et elle a proposé de faire appel à Pascal Crochet pour le monter. Les Métamorphoses, ce sont les mythes fondateurs de l’Antiquité grecque et romaine. Il y est question de tous les mythes que l’on connait : de Narcisse, d’Orphée, le tout repris dans un long poème écrit il y a deux mille ans. Le challenge est justement de trouver comment transposer ces vieilles histoires qui restent très actuelles sur scène sans que cela ne paraisse poussiéreux. Pascal Crochet a eu l’idée de passer par le prisme de Pythagore qui est présent dans les Métamorphoses d’Ovide et qui parle du fait que le
monde est en perpétuelle évolution, tout apparait et disparait constamment.
C’est à partir de Pythagore que Pascal fait le lien avec des auteurs contemporains qui eux aussi s’intéressent au monde en évolution, à l’écologie, à comment ce monde est devenu ce qu’il est et comment nous pourrions réagir. Dans cette matière apportée par ces divers penseurs, Pascal a fait une première sélection et nous avons continué de manière à tout mettre en place.
La pièce comme on peut le voir dans le teaser est très visuelle. Quel travail cela a-t ‘il exigé ?
(https://www.youtube.com/watch?v=TrePBiIT68k)
Maxime Anselin : Sur base des textes choisis, Pascal a créé un espace. Ensemble, nous avons imaginé des personnages qui forment une « communauté » vivant dans un « No man’s land’, un espace assez « vague » que pour libérer l’imaginaire au spectateur. Est-ce un monde apocalyptique, une espace « à part » dans la société ? ... Ces gens sont des inquiets qui s‘interrogent sur le monde, sur la manière de faire subsister ce qui en reste et ce qui n’existe plus, comment le récréer ? À partir de là, nous avons commencé à improviser puisqu’il s’agit d’une écriture de plateau.
Et le texte d’Ovide, comment l’avez-vous utilisé ?
Maxime Anselin : Et bien pour ces gens, le texte des Métamorphoses d’Ovide va littéralement tomber du ciel et même prendre possession d’eux-mêmes.
Au niveau esthétique, la bande de son règle les mouvements très construits, qui je suppose ne sont pas évidents pour les comédiens.
Maxime Anselin : L’ensemble a été pensé comme le passage d’un tableau à un autre. Nous bénéficions du talent d’une équipe importante autour de nous. Au niveau du son, on a Raymond Delepierre, Florence Richard a créé les lumières, Satu Peltoniemi la scénographie et les costumes. Dès le départ, nous avons travaillé avec l’aide de la scénographie, avec les sons et les lumières, l’idée étant de rendre le texte accessible. L’improvisation a servi à dénouer le fil conducteur. Cette scénographie-là dépeint un monde post-apocalyptique. Au centre de la scène, trône un énorme bac rempli de terre avec des arbres récréés au moyen de planches en bois pour montrer que le vivant
n’existe plus... La nature a disparu, mais on essaye de la recréer dans une tentative de conserver ce qui peut l’être. On va donc suivre cette communauté dans sa vie quotidienne, on les voit manger, prendre le thé, faire des expériences parfois un peu « particulières ». Pour ce qui concerne le travail du corps, avec Anne Rose Goyet, on a utilisé les mouvements taï chi pour chercher comment ces personnages évoluent puisque leur expérimentation passe par les mouvements de leurs corps. Pascal Crochet a voulu « déréaliser » les mouvements, on ne marche pas comme dans la vie réelle, on est
animé par quelque chose, une inquiétude, une intranquillité, et les mouvements en sont nourris. Par moments, la pensée d’Ovide nous possède à tel point que l’on est traversé par une transe, le corps est comme saisi par une force extérieure. Cela tient du théâtre danse.
Le spectacle est un succès incontestable, comment le public reçoit-il le spectacle ?
Maxime Anselin : À l’avant-scène, un texte se dit pendant qu’une expérience est en cours sur le côté alors qu’une image métaphorique apparaît à l’arrière... Du coup, le public ne voit pas le temps passer. Il reçoit le spectacle comme une expérience théâtrale qui donne à réfléchir et qui en met plein des yeux. Et donc les textes s’insinuent en nous et soulèvent des questions sans que nous ayons l’impression que l’on nous fait la leçon.
Un texte d’Ovide, texte poétique et antique, est-ce évident de le faire parler aujourd’hui ?
Maxime Anselin : Dans l’Antiquité, les personnages changeaient par le fait qu’ils étaient
transformés en animaux, en arbres, en pierre... Parce qu’ils avaient « fauté », les dieux se vengeaient sur eux en les transformant en matière naturelle comme pour dire : « Vous avez voulu porter atteinte à la nature et bien, vous allez devenir ce que vous détruisez. Dans ce monde qui se métamorphose, nous-mêmes, nous nous métamorphosons tout en continuant à métamorphoser le monde... On finit par subir ce qu’on a créé, par être puni par où on a « péché »
Parlant de transformation et de rédemption, quelle est philosophie de la pièce ?
Maxime Anselin : Tout spectacle est une expérience. Nous n’avons pas voulu donner de réponses aux interrogations. Notre objectif a été de donner des visions, de véhiculer des pensées mais sans donner une vraie réponse... Chacun est libre d’interpréter chaque image. Le propos est de faire état d’un monde en train de s’autodétruire avec des évolutions positives... Mais par le progrès, la surmédiatisation, l’homme en est arrivé à un point où il est nécessaire de faire entendre des sonnettes d’alarme et de s’interroger sur notre survie.
Propos recueillis par Palmina Di Meo