Véronique Dumont s’est emparée d’un sujet tabou pour notre société : La mort. La mort est la seule certitude humaine que l’on a, quant à notre avenir. Notre société en retarde le moment et en adoucit les conditions - l’aseptise et la cache - mais elle continue à faire peur et à hanter les Arts et les Lettres, de la musique à la philosophie. L’auteur de cette création a donc eu pour intention, non de banaliser la chose - la vie et l’actualité s’en chargent suffisamment - mais d’apporter au spectateur quelque chose qui lui fasse du bien.
Quelque chose qui le distantie de son angoisse. Cetains utilisent la philosophie ou le cheminement spirituel. Pour l’auteur et metteur en scène, LE RIRE est une thérapeutique efficace. Ses personnages sont des surdoués d’idiotie, mode clown bien connu. Cela leur permet comme dans les fous de Shakespeare de sonder sans complexe des questions qui nous échappent. La « pièce » (ou le music-hall, allez savoir !) se structure en cinq fables qui exposent des situations de la triste condition humaine, envisagées sur un ton comique. Les fabliaux essaient d’insuffler à des situations humaines de plus en plus tragiques un traitement médico-poético-méli-mélo-rococo-rigolo. Mais sachez que la scène hyperréaliste des deux vieilles pathétiques au seuil de la mort a de quoi glacer d’effroi, plutôt que de rire aux éclats. La déchéance physique ou morale n’est pas matière à rire. On ne peut balayer un tabou d’un coup de mise en scène comique ! Et la descente aux enfers dans cette création suit son cours inexorable. L’intention de l’auteur est respectable mais le résultat dans la salle reste plutôt mitigé. Même si ce que le public va regarder n’est qu’une représentation de la vie et non la vie, le spectateur ressort fort embarrassé devant cette cruelle mise à vue.
Maints dociles spectateurs (ou des spectateurs jetés dans l’inconfort) n’ont eu que le rire pour se sauver devant le pauvre homme qui perd un enfant, et devant cette vieille femme qui peine à se trainer dans un déambulateur dans une interminable scène sans parole. Certains s’en sont voulu après…d’avoir ri ! Peut-être qu’au cinéma, cela intéresserait des cinéphiles vu l’excellent jeu scénique. Ce sont en effet de très bons exercices de style qui conviendraient parfaitement à des examens de Conservatoire.Trop de gens sont confrontés, dans la réalité, à de telles situations, pour s’autoriser à présenter cela au public sous forme de délassement.
Le premier « acte » est pourtant très au point (lumières, costumes, jeu, texte) car comme le dit Camus : « l’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde. » Ce surprenant épisode « chevaliers » est magnifiquement mis en scène, fin et drôle à souhait, et fait échapper entre les plaques de l’armure des chevaliers des dévoilements très justes sur notre société. Et puis, cela tourne au vinaigre dans « le tricot magie » où l’infortune humaine et la méchanceté sont à vif.
Peut-on vraiment en rire ? Vous riiez, vous, quand vous lisiez "Le petit Chose" d’Alphonse Daudet ?
L’acte « It’s funny » se devait d’être drôle, par le titre du moins. C’est lui un morceau délirant, totalement incohérent, presque hors-jeu… toujours splendidement interprété et mis en scène, ce n’est pas ce que l’on reproche ! On se souvient aussi avec grand bonheur de la mise-en-scène éblouissante de « Trois grandes femmes » de Edward Albee, l’année dernière au théâtre Le Public par la même Véronique Dumont.
Dernier clin d’œil, pour ceux qui veulent rire : la jovialité de la troupe en pleine forme qui termine le spectacle par une danse "vitale" plutôt que "macabre" est certes un beau morceau de surréalisme, mais nous ne sommes certainement pas morts de rire ce soir-là.