Mas-Sacre

Danse | Théâtre Les Tanneurs

Dates
Du 25 février au 1er mars 2014
Horaires
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Mas-Sacre

Avec Mas-Sacre, la chorégraphe, Maria Clara Villa Lobos, souhaite donner une lecture contemporaine des notions de rituel et de sacrifice présentes dans Le Sacre du printemps, en abordant un des thèmes épineux de notre société de consommation : l’élevage et l’abattage industriels. Dans un dispositif scénique intégrant le spectateur au cœur du mouvement, des images projetées alternent avec la gestuelle des danseurs, entraînés par le rythme puissant et saccadé de la musique de Stravinsky. Le public est ainsi invité à observer de près les vibrations et secousses produites par les corps nus des danseurs, mi-animaux mi-humains. Corps qui font écho aux milliers d’animaux sacrifiés quotidiennement sur l’autel du profit et de la rentabilité.
Avec : Denis Robert, Barthélémy Manias Valmont, Coral Ortega, Alberto Velasco, Vittoria Di Ferrari

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Lundi 3 mars 2014, par Karolina Svobodova

Ballet de la chair

Comme Maria Clara Villa Lobos le déclare, le Sacre du printemps a, pour les chorégraphes, le même statut qu’un Shakespeare pour les metteurs en scène. S’y confronter est un fantasme, un défi. Et les cent ans de l’œuvre sont l’occasion pour de nombreux artistes de s’y mesurer.

Ne voulant pas ajouter son Sacre aux innombrables reprises existantes, la chorégraphe brésilienne fait le choix d’une réappropriation par la recontextualisation de cette œuvre. Le Sacre du printemps étant le symbole de l’avènement de la modernité en danse et en musique, elle semble choisir de scruter le devenir contemporain de cette idéologie du progrès qui soutient le projet moderne.

Aliénation technologique, industrialisation, coupure entre nature et culture en sont quelques traits essentiels. L’industrie de la viande les rassemble et en est le paroxysme, aussi ce thème permettra à l’artiste de non seulement poursuivre son exploration de la société de consommation mais également de coller au plus près à la violence et à l’excès de la musique de Stravinski. On se souvient en effet que Boulez qualifiait le Sacre de « barbarie très élaborée ». Pourrait-on définir autrement notre système de production de la viande ?
La violence de la musique se lie à la violence des images données à voir, que ce soient celles des vidéos des abattoirs ou celles proposées sur scène. La musique discontinue, fonctionnant par blocs, cadre parfaitement avec la mécanisation du travail incarnée : les corps des danseurs se font ustensiles, ils sont les rouages de la machine. Production de la viande à la chaîne, citation de Chaplin.
Ce faisant, à « l’adoration de la terre » (première partie de l’œuvre originale) Maria Clara Villa Lobos oppose l’élevage industriel. Retour de la vie versus marchandisation de la mort. L’animal est réduit au produit, la terre bien loin de l’univers aseptisé de nos supermarchés.

Après cette première partie, vient le moment du sacrifice. Exit les cérémonies païennes et le remerciement de la vie offerte pour la survie des autres. On ne parle pas de sacrifice pour les milliers d’animaux abattus quotidiennement. On n’évoque ni le sang, ni la mort. La viande est produite, l’animal objet de consommation. C’est là ce que la chorégraphe veut dénoncer, le terme de massacre est alors retenu. Et pour éveiller une empathie qui ferait défaut, elle rapproche l’Homme des animaux.

Ce projet donne lieu à une des plus belles scènes du spectacle : sur une table en inox, le cadavre d’un poulet est manipulé. Manipulation captée en direct, l’image projetée en fond de scène renvoie à une nature morte. Arrêt sur la beauté de la mort et un rapport à l’animal d’un autre temps. Enfin, à l’avant-scène, une deuxième table, semblable à la première. Sur celle-ci une femme, repliée sur elle-même, nue. Ses mouvements copient ceux impulsés au cadavre. Deux chairs blanches exposées, des corps donnés à voir dans leur crudité. Beauté plastique et poésie, macabre, peut-être, efficace, sûrement.

Le Théâtre National avait organisé il y a peu un « thema » autour de l’alimentation. Des débats faisaient suite au spectacle « Nourrir l’Humanité, c’est un métier », proposé par Charles Culot et Valérie Gimenez, traitant de la précarité du monde paysan ainsi que de la disparition de l’agriculture familiale.

Aux Tanneurs, des débats sont également proposés chaque soir suite à la représentation de Mas-sacre. Cette initiative, de même que les propos de l’artiste, témoignent d’une volonté de donner lieu à un théâtre engagé. Le spectacle en question repose par ailleurs sur les bases de ce type de théâtre : représentation de la violence, choc des images afin de mettre en lumière ce que l’on se refuserait de voir et dénoncer ainsi cet état des choses. Bien sûr, il y a ici un usage de l’ironie et du grotesque, mais je ne suis pas persuadée que le décalage induit permette réellement de complexifier le propos. Aussi, on peut douter, me semble-t-il, de l’efficacité d’un tel dispositif, en particulier lorsqu’il est déployé sur une scène de théâtre. Ne crée-t-il pas davantage une entente rassurante ? Ne nous conforte-t-il pas dans nos opinions bien pensantes en nous rassemblant du bon côté ? Car nous tous, réunis dans cette salle, sommes bien sûr d’accord pour dénoncer ces atrocités. Les ignorait-on jusque-là ? Dès lors, en voir une dénonciation sur scène, même dans le cadre d’un spectacle par ailleurs intéressant, est-il vraiment utile ?

Avec Mas-sacre, l’occasion de se faire un avis est donnée.

Karolina Svobodova.

Théâtre Les Tanneurs