Mardi 17 octobre 2006, par Nadine Pochez

Marion

À 73 ans, elle fête cette année ses 50 ans de carrière et débute la 14ème saison des lundi-théâtre, avec la remise du Prix Iris-théâtre « Pied à l’Étrier 2006 », cela méritait bien une interview de cette comédienne que l’on voit encore régulièrement sur nos planches...

À la télévision, elle a fait la voix de Bébé Antoine, héros d’une émission de marionnettes destinée aux enfants et forme un duo célèbre avec Stéphane Steeman dans de nombreuses émissions d’humour. Elle a aussi été pendant 28 ans un des moteurs des samedi-cinéma [1] [2].

Marion

Il reste encore les lundi-théâtre, comment a débuté cette aventure ?

Au Botanique, ils avaient une salle de café-théâtre et en 1993, ils se sont demandés ce qu’on pouvait y faire. Je leur ai proposé un programme pour tous les soirs – c’était un gros machin – mais il n’y avait pas assez de sous pour le réaliser. Comme c’est le théâtre qui m’intéresse plus particulièrement, je leur ai proposé de choisir le lundi - jour de relâche - pour faire quelque chose dans leur salle voûtée du sous-sol. Le lundi, les comédiens qui jouent ailleurs sont libres pour venir faire un petit tour sur notre plateau et c’est aussi une occasion pour ceux qui ne travaillent pas. Il y en a malheureusement beaucoup qui ne travaillent pas et qui peuvent ainsi venir se propulser avec une idée à eux.

Et le Pied à l’Étrier ?

Déjà au départ, il y a 14 ans, avait germé l’idée de faire un petit aparté avec un jeune futur comédien qui est encore aux études ou qui vient de les terminer, pour donner un petit texte de 10-15 minutes… Là-dessus, rendez-vous est pris avec le Gouvernement de la Région Bruxelles-Capitale pour demander s’il n’y aurait pas un petit prix pour récompenser la meilleure prestation. Et c’est comme cela que Charles Picqué a créé le Prix Iris-Théâtre du Pied à l’Étrier. À cette époque, il était Ministre et lorsqu’il ne l’a plus été, ses successeurs ont pris cela comme une chose récurrente. Depuis la saison 2004-2005, le Pied à l’Étrier a modifié sa formule. Il s’adresse désormais aux jeunes compagnies qui partagent la programmation de nos soirées théâtrales. Je me suis dit : offrir un prix de 2500 euros c’est très bien, mais que ce serait encore mieux de l’offrir à une compagnie, parce que d’abord c’est plus professionnel, je peux ainsi faire un programme complet qui permet de voir toutes les facettes des talents des jeunes, et forcément, ces 100.000 BEF, ça les aide à reprendre quelque chose de nouveau, alors qu’ils ont déjà fait un effort particulier pour déjà créer quelque chose. C’est comme cela qu’il y a de jeunes compagnies qui viennent se produire avec un spectacle qu’ils ont créé entre eux en se disant on ne va peut-être pas gagner beaucoup de sous, on va faire le décor nous-mêmes etc., mais on y va. Et quand ça passe dans une programmation au milieu d’autres avec des gens déjà bien établis dans la profession, ça ne marche pas trop mal, parce que le public ne fait pas la différence.

Et cette année, le prix a été remis par Charles Picqué lui-même, à la Compagnie Dézir parce qu’ils avaient produit 2 choses en 2006 dans le cadre des « lundi-théâtre » : Histoire de Tigre et autres histoires de Dario FO par Hervé Guerrisi et pour ses talents d’auteur à Stéphanie Blanchoud pour Dans tes bras (joué par elle-même avec Hervé Guerrisi et Christian Labeau).

Le jury ?

Il est formé de 9 ou 11 personnes pour éviter les ex-aequo : des administrateurs de mon asbl le Manteau d’Arlequin, de membres fidèles du public (qui auront tout vu) et enfin de quelques personnes du Botanique, par exemple le régisseur. Son avis est très valable aussi parce qu’il passe ses après-midi en répète avec les comédiens. Il y en a qui se produisent bien, qui se conduisent bien et par contre, il y en a aussi qui croient qu’ils savent tout…
Tous les spectacles Pied à l’Étrier sont intégralement filmés, pour le cas où un membre du jury tomberait malade mais surtout, lorsque le jury se réunit, cela permet de se remettre des choses en mémoire.

Comment fais-tu la programmation ?

Elle se fait trimestre par trimestre, mais, bien entendu, j’ai déjà des choses pour le ou les trimestres suivants. Au début, il y a 14 ans, je devais beaucoup chercher, je pataugeais beaucoup et j’allais voir un maximum de choses à droite et à gauche, et comme on a une somme d’argent malgré tout réduite, je ne peux pas faire des choses à gros budget.

Les comédiens sont payés ?

Bien sûr qu’ils sont payés ! Les cachets des comédiens, chez moi, cela représente 80 à 85% de ma subvention… Je sais que ce n’est pas le cas dans tous les café-théâtre, mais j’estime que j’ai une subvention pour cela ! On a récemment eu une réunion des petits lieux, justement réunis pour essayer d’obtenir une diminution des droits d’auteur qui grèvent fortement nos budgets (minimum 100 euros par représentation !) Chez moi, je suis déjà heureuse quand la vente des tickets (5 euros !) peut couvrir ces droits d’auteur. Mais tu sais, dans les petits lieux, on rencontre toutes sortes de gens. Il y a les purs et durs, les passionnés qui se débattent tant bien que mal et qui respectent les comédiens, mais je sais qu’il y en a d’autres qui utilisent par exemple la subvention pour louer des appartements et il y en a qui carrément exploitent les gens et surtout les jeunes. Parce que les jeunes ont la passion et sont prêts à tout accepter. Moi, je n’ai pas de subvention pour faire travailler des amateurs, même s’ils sont très bien. Si je veux défendre la profession, oui, je dois travailler avec des professionnels qui ont appris le métier et veulent en faire leur profession. Je n’ai pas fait le Conservatoire, mais je suis professionnelle car j’en ai fait mon métier.
Pour en revenir à la programmation, au départ ce n’était pas facile, mais petit à petit on commence à venir me trouver, on veut revenir parce qu’on s’y trouve bien. On m’envoie des projets, je vais voir des choses dans d’autres cafés-théâtres et puis il y a des gens à qui je fais confiance comme le Théâtre-Poème, car je sais que c’est de bonne qualité. Je programme des choses marrantes et puis d’autres plus dramatiques, donc je n’ai pas tout le temps le même public et je peux dire que j’ai un public fidélisé, sans doute à cause de cette diversité.

Avec tes 50 ans de métier, tu as quand même une certaine autorité pour donner des conseils aux jeunes compagnies ?

Je suis une professionnelle amateur puisque je n’ai pas fait le Conservatoire et que je n’ai pas suivi des cours d’art dramatique. Je suis rentrée à la Télévision alors que je faisais déjà du théâtre dans une troupe qui était semi-professionnelle puisqu’on était payés, mais c’était quand même la même galère de jeunes qui se mettent ensemble pour produire quelque chose et ça passe ou ça casse. Donc les tournées populaires dans les arrières-salles de café, je connais. Au début à la télévision, je faisais des émissions dramatiques, mais j’étais aussi présentatrice, auteur et co-auteur puisqu’on écrivait nos sketches. Les émissions enfantines m’ont aussi beaucoup appris.
Je n’ai pas beaucoup de conseils à donner car quand on se constitue en jeune compagnie c’est qu’on a déjà envie de faire ce métier sérieusement. C’est qu’on a déjà accepté de manger de la vache enragée si ça ne marche pas, mais de continuer quand même. L’amateur lui – et je ne critique pas – se contente de jouer, de se montrer devant ses copains et ses parents. Donc, ce que j’aurais à dire aux jeunes, c’est que le théâtre est un métier !

Ce n’est pas seulement une passion, c’est un métier avec toutes ses règles. Il faut le prendre avec sérieux et en accepter toutes les contraintes : par exemple, lorsqu’on reçoit un contrat, il faut renvoyer les conventions. Il faut indiquer combien de temps dure la pièce, quel est le matériel nécessaire au régisseur qui va s’occuper d’eux. Si c’est seulement pour se montrer avec leur beau décor, leur belle robe ou leur beau costume, ce n’est pas la peine de continuer, ils ne feront pas ce métier. Il ne suffit pas d’avoir une carte de visite : STROUMPF – comédien et même 1er prix du Conservatoire. À côté du talent et de la créativité, il faut être prêt à assumer toutes les contraintes, et à la limite, si on ne peut les assumer, il faut trouver une aide extérieure (par exemple un comptable).

Moi aussi j’ai dû demander de l’aide sur le plan administratif car je n’y connaissais rien. Bien sûr, j’aide volontiers les jeunes, mais il y a des choses que je ne peux pas faire à leur place. Je peux leur dire de faire comme ceci ou comme cela, même leur donner des conseils sur leur jeu. Certains n’ont pas eu vraiment de metteur en scène, si ce n’est un des leurs, ils n’ont pas de regard extérieur et je peux leur dire : « si tu te mets là, même si ce que tu fais est très joli, on ne te voit pas » ou « moi à ta place, je ferais plutôt comme cela ». Je ne suis pas leur patron, je suis une maman d’un jour, leur copine.

Je materne aussi mon public. Avec 5 euros la place, je leur donne l’occasion de voir des spectacles de qualité. Je ne suis pas pour la gratuité car alors ils ne savent même pas ce qu’ils viennent voir. Et avec cette petite contribution des spectateurs, crois-moi, je ne fais pas de grosse recette. Je travaille chez moi donc à part ma ligne téléphonique qui est au nom de mon asbl, cela ne coûte rien, et c’est mon choix. Malgré cela, j’ai aussi des frais administratifs comme, par exemple, la location du Bota et de leurs services, l’envoi des programmes... Quant au bar - il n’y a pas de café-théâtre sans bar - il ne rapporte rien, au contraire, j’y mets de ma poche ! (n.d.l.r. :J’ai même vu des spectateurs fidèles qui tour à tour apportent crackers, saucisson et fromage : il y a aussi de la passion chez les aficionados de Marion !) Comme je te le disais, environ 85% de la subvention va aux comédiens. Enfin, sache que je paie autant les jeunes compagnies que les artistes confirmés car j’estime que si j’ai une subvention pour le théâtre, il n’y a aucune raison, pour qu’il en soit autrement.


Tes projets personnels ?

À Paris, j’ai vu une pièce de Xavier Durringer qu’il a écrite pour une comédienne qui a sans doute mon âge : Judith Magre [3]. Ce qui lui a valu le Molière de la meilleure interprète féminine. C’est un rôle pour une femme qui se multiplie face à divers hommes et, bien qu’il en soit un lui-même, Durringer n’est pas tendre vis-à-vis d’eux. C’est très chouette à faire, c’est à la fois rigolo, pathétique, tendre et actuel.
Judith Magre se faisait accompagner d’un contrebassiste, et moi j’aimerais trouver un accordéoniste qui joue du classique ! Non, pas du bal musette, quelque chose comme Vivaldi par exemple… Donc je me réjouis fort d’aller jouer Histoires d’Hommes à La Valette du 15 mars au 15 avril 2007.


Encore un one-woman show ! Marion, moi qui t’ai vue éblouissante dans l’Éloge de la Folie d’Erasme, je puis assurer nos lecteurs que ce sera, là encore, un grand moment de théâtre, et à mon tour, je me réjouis d’aller t’applaudir. Merci pour cette interview.

Nadine Pochez – (17 octobre 2007)

Notes

[1Les parents voient un film pour adultes dans une salle pendant que les enfants, dans une autre, voient avec Marion un film pour enfants.

[2Malheureusement on a dû supprimer les samedi-cinéma, car cela devenait intenable pécuniairement parlant.

[3De fait, Judith Magre a 80 ans et la pièce dure 90 minutes !