En scène, le metteur en scène genevois, Valentin Rossier. Troublé par le poids de ses actes, ses genoux ploient de plus en plus bas, il se tord de douleurs et de coliques, le visage défait. Le verbe prend les chemins arides de la lamentation, l’intonation se fait torture grinçante, incarnant les effets d’un empoisonnement lent …issu de la géhenne des prédictions fatales. « Ah les pensées ne sont rien à côté des terreurs que l’on imagine ! » Comment se purger du mal et de l’indifférenciation des valeurs ? (« Fair is foul, and foul is fair ») La folie ne l’épargne pas, comme dans la scène où Macbeth est seul à voir le spectre de son ami Branquo surgir parmi les invités du soir.
Mais revenons à celle qui l’inspire si maléfiquement ! Lady Macbeth aussi est splendidement seule que lui, un homme dont elle ne cesse de mépriser la faiblesse. La comédienne fait preuve d’une expressivité affirmée de la voix, du geste, des postures, des regards et même des silences. A travers ses étreintes elle exprime à la fois une sensualité glaçante et un désir glacial de pouvoir. Voyez comme elle embrasse faussement Branquo, le cœur honnête habillé du charme discret de l’exquis François Nandin ! Voyez comme elle minaude avec les convives ! « Pourquoi aurions –nous peur ? Nul ne peut contredire notre pouvoir ! » dit-elle, juste avant de sombrer elle-même dans la folie ! La comédienne sulfureuse qui l’incarne se nomme Laurence d’Amelio...
La lecture sensorielle de cette œuvre de Shakespeare par Valentin Rossier en donne une adaptation audacieuse et esthétique. La plus humaine des tragédies du grand William devient une mosaïque de visions et de rêves abominables exprimés à haute voix et un faisceau de solitudes adressé au silence de l’espace. Les répliques s’écrasent dans les tentures vert d’eau et sur la moquette comme autant de verres de whisky brisés. A l’envers du foisonnement romantique shakespearien, nous voici dans une unité de lieu très classique. Nous sommes dans le hall luxueux et vide d’un grand hôtel, devant l’omniprésence d’un ascenseur de métal lisse, transporteur de carnages, lieu de tous les fantasmes et de tous les imaginaires. Portes du Mal que caressent les sorcières. Là, Shakespeare serait sûrement ravi de la trouvaille ! La moquette saumon est partout pour amortir le choc des émotions et un vaste sofa de cuir noir à gauche accueille les rêves infernaux. Sur le mur d’en face, un bar transparent, façon étagères de laboratoire, est couvert de flacons identiques, contenant les mythiques élixirs écossais. Un miel irrésistible où viennent butiner tous les personnages comme les mouches - de Sartre ? Héroïsme, violence, sexualité, addiction s’y rencontre. Le seau à glace devrait en principe éteindre la lave les péchés. Sauf que sur les mains de Lady Macbeth, les taches originales du Mal persisteront jusqu’à la mort, et au-delà, sans doute ! Il est dit que « Ce qui commence dans le mal s’affermit par le mal… » Sans espoir de retour.
Ce spectacle complexe et de très haute tenue intéressera le spectateur moderne qui redoute l’avènement du pire des mondes. C’est une constante : Le sang n’appelle-t-il pas toujours le sang ? L’équipe entière des comédiens belgo-suisse, dont on admire la belle tension théâtrale, reste vaillante à travers les carnages en série et joue sans fausses notes. La modernité de la mise en scène attire par sa justesse, son inventivité et son efficacité.
La question du recours à la sollicitation surnaturelle interpelle. « Elle peut être le mal, ni le bien. Si c’est un mal, pourquoi me donna-t-elle le gage du succès …Commençant par la vérité ? » s’exclame Macbeth, irrésistiblement tenté par la tentation et bientôt asservi par elle ! Lui qui croit régner, devient non seulement la proie du pouvoir mais aussi du tout-savoir, comme lui rappelle ironiquement Hécate dans un bruissement visuel anthracite ! Les trois sorcières, absolument graphiques et réelles ont une présence cinématographique. Ambiguïté, puisqu’elles disparaissent chaque fois brutalement, comme par magie. Elles jouent donc ardemment tant sur le plan physique que sur le plan spirituel, à double-sens et sur les double-sens. Depuis l’antiquité, l’ambiguïté du langage n’est-elle pas le propre des prédictions ? Trio peu banal : Barbara Baker, Maxime Anselin et Edwige Bailly sont trois opératrices de grand art scénique qui ne cessent de fasciner par leurs soigneuses chorégraphies, le tout, dans un contexte qui semble si inconfortablement familier !
Dominique-Hélène Lemaire
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