Drame épique sauvage, trop sauvage pour des écoliers, ce « Macbeth » saisissant, intense, magnifiquement mis en scène, offre des performances théâtrales puissantes, d’un style presque cinématographique. Mais le spectateur repart avec en main la sagesse shakespearienne percutante qui défie le temps et plonge ses racines dans une bouleversante humanité. De là peut être cet humus qui recouvre tout le plateau du théâtre du Parc et qui sert d’arène au déchaînement, aux folies des hommes et des femmes. Cet humus d’où naît chaque génération humaine pour y retourner et y faire le lit des suivantes. Puisse l’humus proposé par Georges Lini, faire germer en nous plus de paix et plus de raison. La raison de la présence cette chanson, qui germe tout au bout du cataclysme, à peine murmurée par une Anouchka Vingtier, sidérée par l’ampleur du désastre, juste avant que le rideau ne retombe sur les protagonistes comme un sombre couperet final …
♪ Oh My Love ♪
Oh my love
Look and see
The Sun rising from the river
Nature’s miracle once more
Will light the world…
La violence, hélas, comme l’humus, ne cesse de se recycler à l’infini. Le ciel a beau envoyer le déluge pour laver le sang, ou souligner l’ignominie, l’hubris des hommes est incommensurable et la soif de pouvoir est telle qu’elle emprunte sans trop de scrupules, les voies du meurtre, de la trahison, de la barbarie viscérale érigée en art de vivre ou celui de mourir …à la guerre. Les parallèles avec notre actualité ne manquent pas. « Pourquoi nous taisons-nous, quand cette affaire est la nôtre ? »
De plain-pied au cœur de la folie.
Si Georges Lini a choisi la continuité de costumes simples et médiévaux, il installe l’action dans un cadre aux contours contemporains, tel les coulisses d’un théâtre ou d’un studio de cinéma, dont le centre est occupé par une capsule hermétique dans laquelle trônent trois sœurs infirmières, qui ne sont pas sans rappeler Nurse Ratched, le cauchemar de Jack Nicholson dans « Vol au-dessus d’un nid de coucous ». Nous sommes de plain-pied au cœur de la folie. Une boîte de Pandore dont elles peuvent sortir à leur guise pour répandre la mort et le poison. Les trois sœurs qui font le Destin dans leur habitacle trompeur, tissent inéluctablement le fil sanglant de la malédiction qui pèse sur Macbeth. Et prononcent des phrases sibyllines, comme à la radio anglaise, en temps de guerre.
Est-ce l’effet de la liberté créatrice ? Du génie dramatique de l’auteur ? Du talent confirmé des artistes ? Les artistes développent tous et sans frein, la richesse de leurs passions. Ils capturent la moindre émotion de la phrase ciselée, débarrassée de ses aspects vieillots. Ils sont filmés parfois, par un cinéaste, discrètement à l’affût. Se repaît-il de la violence ou est-il simple témoin ? Des close-ups se projettent sur un écran géant. Plusieurs scènes symboliques et sans paroles donnent l’illusion d’un répit ou plongent dans l’horreur. Mais tous, tirent tellement bien profit de leur texte, que le spectateur se sent pleinement engagé. Non seulement par le bouillonnement affolant du texte adapté par Georges Lini, mais par toutes les expressions des visages et le langage corporel constamment aiguisé.
Tous en scène, tous témoins, en silence ou en paroles. Le casting rutilant navigue sur des déferlantes de mouvement et d’énergie créatrice. Dans l’allégresse de victoires guerrières, Ross (Nicolas Ossowski) annonce à Macbeth que le roi l’a nommé baron de Cawdor. C’est Luc Van Grunderbeeck qui campe l’élégant roi Duncan. Banquo, c’est Stéphane Fenocchi que Macbeth voit comme une menace et fait assassiner. Mais les morts ne cessent de réapparaître. C’est Lennox (Jean-François Rossion) qui annonce que dans la tourmente, Macduff a fui en Angleterre. Il est joué avec brio par le pétillant Didier Colfs. Macbeth a ordonné de saisir ses biens et fait assassiner sa femme et son fils. Une de ces scènes graphiques dont Georges Lini a le secret et qui reste inoubliable. Macduff jure de se venger, rallie l’armée levée par Malcolm (Felix Vannoorenberghe) pour marcher contre Macbeth. Il est celui qui n’est pas « né d’une femme » d’après la prophétie. Thierry Janssen, toujours aussi brillant dans sa présence théâtrale,colle au rôle de Seyton, dernier lieutenant fidèle de Macbeth. Daphné d’Heur, (qui d’autre qu’elle ?) est à la direction musicale, Jérôme Dejean à la création des lumières. Les dictions sont impeccables.
Frêle et sous des dehors d’innocence, Anouchka Vingtier aux côtés d’Itsik Elbaz incarne l’hypocrisie brutale et le désir brûlant de Lady Macbeth de se voir reine. Ses intentions sont transparentes. Sa force de persuasion et sa tactique sont spontanées et imparables. Elle s’emploie à convertir au « Mal » Macbeth, un guerrier loyal et courageux, ne lui laissant aucune échappatoire, pour assouvir sa dévorante ambition. Lady Macbeth appelle même sur elle la Violence personnifiée pour qu’elle neutralise « son état de femme ! »
Lady Macbeth connaît sa proie, mieux que lui-même ne se connaît et manie le sarcasme avec un art consommé, s’offrant charnellement en récompense. Il est cuit. Il est bon pour ouvrir les vannes de la sauvagerie et celles de l’acte prémédité. Itsik Elbaz et Anouchka Vingtier, qui nous avaient bouleversés dans « Hamlet », redoublent ici d’intensité dramatique. Lors du festin dantesque, Macbeth divague à la vue de Banco « Que me fixes-tu, camarade ? » Itsik Elbaz possède à fond l’art du monologue. Il excelle dans les rôles d’illuminés ou d’halluciné. Il est tiraillé entre les sentiments de devoir et de culpabilité, il oscille entre raison et déraison, il est lucide et « ensauvagé » comme les chevaux du roi Duncan lâchement assassiné. Et profondément humain. « Ma mort ne rendra pas votre monde meilleur !
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