Liebman renégat
Marcel Liebman (1929-1986) enseigne l’histoire des doctrines politiques et la sociologie politique à l’Université libre de Bruxelles et à la Vriije Universiteit Brussel. Il est issu d’une famille d’origine juive polonaise, connaît la shoah, et devient pourtant l’un des premiers défenseurs de la cause palestinienne. Historien du socialisme et du communisme, il publie de nombreux essais sur la révolution russe et le mouvement ouvrier belge, et signe Né juif, un récit autobiographique salué par la critique lors de sa parution en 1977. Il parle couramment six langues, il est brillant, passionné, aime la musique, rire, chanter et raconter des blagues. Il a quatre enfants, dont Henri dit Riton, qui naît en 1964. Riton devient acteur, dramaturge et réalisateur.
L’histoire de Marcel Liebman est celle d’un enfant juif, dont le frère aîné disparaît au cours de la seconde guerre mondiale. Issu d’une famille juive conservatrice et austère, il devient en rencontrant sa femme un homme de gauche puis un homme public, solidaire d’un peuple palestinien dessaisi de ses terres, ce qui lui vaut d’être traité par certains de « renégat à la solde des Arabes ». Riton passe son enfance dans l’ombre de ce père qu’il adore, puis il grandit, change et devient père à son tour.
Liebman renégat est un spectacle drôle et touchant qui décortique les rapports père-fils et la transmission au regard de l’histoire du siècle dernier et des grands mouvements qui l’ont traversée. Dans la mise en scène de David Murgia et avec la musique live de Philippe Orivel, le spectacle croise les trajectoires entre le père et le fils, entre les dérives de l’un et les idéaux de l’autre, pour nous mener à la croisée des chemins. Quel père est-on avec son fils ? Quel fils est-on avec son père ?
Distribution
Une création de Henri Liebman et David Murgia, texte et interprétation Henri Liebman
Lundi 16 mars 2015,
par
Yuri Didion
La contestation, une affaire de famille ?
C’est un projet ambitieux que nous livre Riton Liebman. À travers ce seul en scène, il se confie au sujet de son père et de sa famille. Nous nous baladons des racines aux branches de son arbre généalogique, chaque ramure nous offre une rencontre palpitante.
Et le sujet est prometteur : son père n’est autre que le professeur Marcel Liebman. « Un juif un peu … spécial » puisqu’il est pro-palestinien. Issu d’une famille « conservatrice et austère », il n’hésite pas à devenir un militant marxiste reconnu. Plus qu’un simple portrait de famille, le récit de Riton nous promène à travers une histoire de la Belgique et nous confronte à de nombreux thèmes : les inégalités, le militantisme, la protestation. Mais la grande question qui traverse le spectacle est celle du rapport à la paternité : comment supporter la comparaison avec ce père imposant ?
Toute l’ingéniosité du texte réside dans un projet artistique intelligent : ce n’est pas un hommage à Marcel Liebman. Les anecdotes racontées mettent en question ce père à la manière d’une bonne biographie, permettent de prendre de la distance par rapport à l’image glorieuse de l’intellectuel à contre-courant. Et avec elles, on suit toute l’évolution d’un fils à travers les années révolutionnaires, puis les années punk et le lot de désaccords qu’elles ont entraînés entre un père se battant pour un meilleur avenir et un fils « no future ». C’est aussi l’affranchissement d’un fils par rapport à son père qui nous est raconté. Touchant continuum lorsque Riton nous parle de son propre fils et de son expérience de père.
Malheureusement, tout cela est mal servi par l’interprète. Sur scène, il semble plus musicien que comédien : sa scansion fait perdre la compréhension du texte pourtant merveilleux, sa gestion du micro – qui ne semble pas toujours maîtrisée – déroute l’oreille, et son rythme de jeu lui donne un air désinvolte parfois dérangeant. De plus, l’utilisation du comique de répétition est un peu abusive.
Une scénographie sobre mais agréable, de la musique qui sert admirablement l’ambiance – soulignant le comique ou ajoutant au drame – ou encore des vidéos de Marcel Liebman, voilà de quoi tenir le spectateur éveillé et mettre en valeur le comédien. Visiblement, David Murgia – le metteur en scène – l’a bien compris et sait en user avec finesse.
Un spectacle biographique à voir : Liebman et Murgia forment un duo intéressant et riche qui fait vivre la scène, à défaut du texte resté flou.
20 Messages