"Si l’enfant naît mort, est né mort, il faut quand même, tout de même, déclarer sa naissance, déclarer sa naissance et déclarer sa mort et un médecin devra attester que la mort a précédé la naissance." C’est par ces mises au point cyniques qu’une dame élégante entame sa conférence. Autoritaire, tranchante, elle manifeste parfois de mystérieux signes de faiblesse. Claude Enuset, le metteur en scène, la voit comme "un personnage en représentation, une marionnette obligée d’énoncer ces règles de vie, comme malgré elle."
Elle n’hésite pourtant pas à privilégier, en toute circonstance, l’intérêt financier. Ne jamais choisir un parrain trop âgé ou peu fortuné. Le filleul risquerait d’être privé de cadeaux luxueux et d’un substitut solide de ses parents. Et que la marraine soit assortie, en vue d’une répartition équitable des charges et des frais ! A chaque étape du scénario qui conduit à la signature du contrat de mariage, méfiance et hypocrisie sont de rigueur. Même les exclamations de surprise ou de joie sont dictées par l’étiquette. On obéit aux règles sans "se laisser déborder par les futilités accessoires que sont les sentiments."
En décortiquant baptême, fiançailles, mariage, anniversaires, décès, avec la neutralité pointilleuse d’un mode d’emploi, la conférencière répond à des questions comme : "Qui doit payer les dragées ? Une veuve qui se remarie doit-elle conserver sa première alliance ? A quel stade du demi-deuil peut-on porter des dentelles ? Parfois elle s’égare dans des suggestions absurdes. Témoin : une liste interminable de prénoms loufoques. Cette surabondance de préceptes, de normes, de conseils nous fait rire. Mais ce rire est jaune, car derrière l’apparente harmonie sociale se cachent l’égoïsme et la peur de vivre.
Dirigée avec rigueur par Claude Enuset, Muriel Clairembourg traduit subtilement la tension qui habite son personnage fantasque. Affichant presque constamment un sourire dominateur, elle cherche à convaincre du bien-fondé de ces règles de vie. Mais un silence prolongé, un geste d’énervement, des larmes aux yeux ébranlent cette impression. On est également surpris par l’évolution de ses rapports avec son assistante. En l’incarnant, Magda Dimitriadis apparaît successivement comme une domestique servile, un soutien, une partenaire, une remplaçante, mais aussi une observatrice vigilante. Nous n’écoutons pas un monologue, nous assistons à une représentation.
En tournant en dérision ces règles qui figent les comportements et bafouent les sentiments, l’auteur nous pousse à la révolte. Une vie peut-elle se limiter à "tenir son rang", à éviter le désordre, en subissant la dictature des conventions ? N’est-elle pas faite de joies et de peines, de victoires et d’échecs ? Pour s’épanouir un individu ne doit-il pas se démarquer du groupe, affronter l’imprévu, prendre des risques ? La démonstration par l’absurde de Jean-Luc Lagarce nous incite à fuir tout conformisme et à assumer honnêtement notre personnalité.
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