Les gens bien n’osent plus sortir le soir
Mis en scène par Eric De Staercke, le nouveau spectacle de la Fabuleuse Troupe (Dominique Rongvaux et Stéphanie Van Vyve, ici avec Caroline Lambert et Corentin Lobet)
"Vous saviez, vous, que les rouquins ont une odeur ?
Et si votre patron vous disait, « Mon cher, vous êtes communiste ? Ou juif ? Ou pédéraste ?
Et vous, comment vous vous sentez ? Ça va ? »
Ça ! de nos jours, les gens bien n’osent plus sortir le soir. Avec ces gnoufs, juifs, bougnouls et autres bicots. Même en vacances. Faut se méfier."
"Les gens bien n’osent plus sortir le soir" regroupe des pièces coup de poing drôles et féroces de Jean-Claude Grumberg qui nous invitent à nous poser sérieusement la question de notre identité et de notre rapport à la différence. Et ne nous laisse pas y échapper...
Textes Jean-Claude Grumberg
Mise en scène Eric De Staercke
Avec Caroline Lambert, Corentin Lobet, Dominique Rongvaux et Stéphanie Van Vyve
Décorateur Pierre Legrand et Pauline Picry
Création sonore Sébastien Schmitz
Régie Serge Bodart
Assistante à la mise en scène Barbara Van Dievel
Une production de La Fabuleuse Troupe. En coproduction avec le Théâtre Loyal du Trac et les Riches-Claires.
Critique du SOIR :
"Prenez une grande inspiration avant de pénétrer dans la salle car, dès les premières minutes, votre mâchoire se ramasse l’haleine putride et asphyxiante des personnages peuplant cette galerie d’individus mesquins et racistes, héros médiocres de Jean-Claude Grumberg. Piochant dans l’oeuvre de l’auteur, le metteur en scène Eric De Staercke compose un tableau peu reluisant de notre humanité, concentrant en quelques saynètes ce que l’homme peut exsuder de vanité, avidité et intolérance.
Tout commence avec une famille française en vacances à l’étranger. Le père, insupportable franchouillard, se méfie de tout, de la qualité des mets à l’honnêteté du restaurateur. Il rabroue sa petite famille et s’adonnant au racisme le plus primitif. Quelques éléments de décor sur roulettes plus tard, voici un employé inoffensif, chaque jour affublé par son collègue d’une nouvelle étiquette : pédéraste, communiste, juif, franc-maçon. Rapportant ces faits le soir à sa femme, il ne trouve auprès d’elle que peu de consolation.
La suite est du même acabit : scène de couple qui tourne à la crise de nerf parce que la ville a décrété une chasse aux "rouquins", préparation d’une beuverie bourgeoise qui finit en tabassage de "gnoufs", crise de paranoïa d’un homme qu’une rixe avec un "basané" va conduire à une vengeance à la carabine. Les situations dénoncent toutes la peur de l’autre et la violence qui en découle. Par peur de l’inconnu, l’humain met des étiquettes sur ce qu’il ne comprend pas et pense ainsi maîtriser. On peut reprocher à Grumberg de forcer le trait : des personnages à ce point caricaturés et dégueulasses, on peut plus facilement s’en dédouaner. Mais le jeu tonique et féroce des quatre comédiens, décuple la méchanceté des personnages, déclenchant un rire terrible, dérangeant. Et parce qu’il étrangle, cet humour-là fait mouche."
CATHERINE MAKEREEL
Mardi 16 mars 2010,
par
Céline Verlant
... parce qu’ils sont bêtes et méchants
Jean-Claude Grumberg est né en 1939. Ses textes, montés à la Comédie Française et étudiés à l’école, abordent tous la question de la différence et de la peur. En filigrane, la mort de son père dans les camps nazis. Contenant et contenu pas très réjouissant me direz-vous. Mais l’auteur y insuffle une bouffée d’oxygène par le rythme de la comédie, et par des tonalités grotesques qui alimentent le rire, grinçant.
Les formes courtes sélectionnées dans cette mise en scène ne s’assemblent pas comme les pièces d’un puzzle, non. Elles sont plutôt comme un plan que l’on déplie petit à petit, une sorte de carte géographique de l’animal humain que nous sommes, perdant le nord, centré sur lui, ou carrément à l’ouest. Voyager dans cette carte, c’est découvrir un immense pays aux contrées inconnues, ombragées, inquiétantes : celui de la bête féroce qui sommeille au fond de chacun de nous. Grumberg, tel un garde-vétérinaire, se poste aux frontières, muni de son passeport bestial, et s’amuse à nous glacer le sang en hurlant « Halte ! » par surprise, puis nous raconte une bonne blague animalière, et nous autorise enfin à poursuivre notre destinée dans ce monde de brutes…
Dans l’infirmerie de ce grand zoo de cartes déshumanisées, Grumberg épingle quelques espèces à soigner, à sauvegarder ou en voie d’expansion : les juifs, les rouquins, les communistes, les bougnouls, les racistes, les méchants, les égoïstes, les cons, …
Eric de Staercke a domestiqué la mise en scène, pour que les quatre bipèdes s’affrontent efficacement dans la cage. Sous nos yeux, quatre espèces intéressantes à observer : Stéphanie Van Vyve ronronne, miaule, griffe et mord à souhaits, Corentin Lobet a le pelage roux, donne la patte, apporte le journal, pisse où bon lui semble et chie si l’envie lui prend. Dominique Rongvaux fait le beau, se lèche, s’étire, bave, aboie, grogne. Caroline Lambert piaffe, picore, caquette, jacasse, déploie ses ailes et perd parfois une plume. La visite est distrayante et éducative.
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