Les comédiens promènent leurs allures désinvoltes et enjouées de jeunesse éternelle. Eternelle surtout dans le sens où, que ce soit le XVIème siècle ou le nôtre, toutes les marques de vitalité, de sensualité et d’ingéniosité et de frivolité adolescente sont présentes. Voici un spectacle efficace, dynamique et assumé. On semblait au début flotter agréablement dans le rêve de bonheur, une sorte d’âge d’or, de paradis, où l’amour est loi et où la trahison n’a jamais lieu. Sauf que - c’est SHAKESPEARE qui nous le dit - :« le ver est dans le bouton de rose », et rien n’y fait, c’est le lot de la condition humaine. C’est aussi sans compter avec l’inconstance masculine. L’exquise Julia, délaissée par Proteo son amoureux parti rejoindre son ami Valentin (Julien Vargas) à la découverte du monde et des richesses à Milan, devra se déguiser en page et tenter avec retenue et sagesse, de renouer l’amour perdu. Un thème qui peut sembler familier à beaucoup. Détail piquant que celui de la jeune femme débordante de féminité qui doit s’habiller en homme. C’est une première dans le théâtre Elisabéthain. Et quel bout de femme direz-vous ! C’est la même comédienne éblouissante que l’on a vu jouer récemment dans « l’Eveil du printemps » au théâtre le Public sous la direction de Jasmina Douieb. Sherine Seyad explose de vie, d’enthousiasme et de générosité. « Croquez la Vie à belles dents ! » semble-t-elle dire en vous regardant ! Dans le texte, elle s’exclame sans honte : « Il est bien moins honteux pour une femme de changer d’habit, qu’il ne l’est pour un homme de changer d’âme ». Et elle a raison. La tendresse vivifiante a raison. Elle a raison, de préférer le pardon aux invectives délétères.
Mais il y a toute une bande de jeunes fauves aussi craquants et butineurs autour de Julia et de sa servante sulfureuse (Aurélie Trivillin). A commencer par le Proteo (Baptiste Blampain) qui rejoint son ami Valentin au palais du duc et tombe éperdument amoureux de Silvia. L’amour est aveugle, il va tenter sans vergogne de l’enlever à ses deux admirateurs : Valentin (qui avait pourtant juré de ne jamais tomber amoureux) et Thurio, le galant un peu idiot et de triste compagnie choisi par le père un peu guindé (Philippe Vuilleumier). Le prétendant grotesque est admirablement campé par l’excellent Vincent Sauvagnac. Et il y a l’impayable couple de serviteurs bouffons des deux gentlemen, Launce et Speed. Speed : on ne peut pas faire plus moderne (Alexis Julemont). Launce (Real Siellez) est le maître humoristique absolu - pecking order oblige !- d’un chien mal léché et malappris qui moque à grands renforts de pitreries les grands de ce monde. Des moments où la salle entière bouillonne de vagues de rires. Il y a des brigands masqués et il y a la grande Sylvia (Jeanne Kacenelenbogen), décidément une grande dame : « Pourquoi n’aimez-vous point celle qui vous aime ? Repense à ta Julia ! Tu lui dois mille serments. Tu n’as plus de parole, à moins que tu n’en aies deux, ce qui est pire que de ne pas en avoir. Quand la foi est double, il y en a une de trop. N’as-tu pas trahi ton meilleur ami ? » Le texte modernisé au passage, garde quelques succulents subjonctifs imparfaits et reste jubilatoire comme il se doit. La comédie bat son plein. On repart de là ayant fait le plein d’un lavis intense de bonheur de jeu et d’accords de guitare.
Aidé de cette très belle distribution,
Robert Bouvier en est le metteur en scène passionné.
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