Dès l’entrée dans la salle, le public se sent pris par une sensation étrange, comme un tournis. Le décor tronqué donne à l’espace une double perspective : la première, classique, face au public, et la seconde, imposée par la scénographie, en diagonale. Au Jardin, deux projecteurs offrent des évocations de Verhaeren, tandis qu’à la Cour trône un tableau religieux..
Deux axes de jeu, donc, pour le comédien, qui, tout en s’adressant à Monsieur V., se tord vers ce Christ avec qui il dit "prendre de la distance", tant la religion s’éloigne de cette nature qu’il nomme "Ici-Bas". Astucieux travail qui offre au public à la fois une grande visibilité et une sensation d’instabilité. Sensation renforcée par la diction hachée, retenue, sur un souffle très haut, qui donne au personnage une grande fragilité, une belle sensibilité. Nous sommes pris dans sa réflexion, dans sa remise en question du monde, dans son doute et dans la vibration qu’ont mis dans son âme, les poèmes du grand maître.
Le texte est incroyablement fort. Les images marquantes sont légions : "Dieu n’habite pas dans les églises", "la religion a rendu notre beau sexe apatride" et "il faudrait appartenir à Dieu de par cet endroit" ; la réflexion est engagée et débouche sur une prise de position face au progrès dont Verhaeren chante l’exaltation. Un texte de Rilke pourtant méconnu.
Un double plaisir, donc, de le découvrir dans cette mise en scène intelligente et sensible.