Le duo qu’il interprète avec Frédéric Nyssen (lui aussi dans DÉMOCRATIE) est dans cette ligne de travail nuancé. La mise en scène soignée de Patrice Kerbrat et les verres de vodka y sont pour beaucoup. D’une part il y a les monologues intérieurs tantôt feutrés, tantôt passionnés ; de l’autre il y a une pratique de l’écoute attentive de l’autre. Et même l’art subtil de faire trouver à l’autre, les mots qu’il faut pour creuser la vie intérieure. Comme s’il s’agissait non pas d’un texte écrit et interprété mais d’une sorte d’improvisation affective. Jean-Pierre Bouvier endosse ici le rôle de Stéphane, la quarantaine, un profil d’homme élégant, instruit et posé, écrivain en vue de surcroît. Il voyage, voit du beau monde et mène une existence enviable. Vincent est beaucoup plus jeune, il brûle tout ce qu’il adore, ne tient pas en place, et est réactif comme du vif argent. Leur différence d’âge, de milieu, de statut, les éloigne et les fascine à la fois. On comprend très vite qu’ils ont été éperdument amoureux quelques années auparavant. Retrouvailles fortuites ce soir-là au bar d’un hôtel de bord de mer ? Le décor n’a certes pas le lustre rêvé, mais l’absence de barmans ou l’absence incongrue d’activité dans l’hôtel leur offre soudain un lieu et un temps d’entre deux, où les vérités les plus profondes peuvent éclore sans se faner, …sous les délicates lumières de Laurent Béal.
Sensibilité, vivacité, tendresse, fougue et retenue à la fois. La gestuelle des deux hommes est un ballet du temps présent sur scène. Un pas en avant, deux pas en arrière et la sensualité des souvenirs ne demande qu’à remonter à la surface. Qualité des silences. Justesse absolue des interprétations, les rôles étant à la base bien définis. Chacun suit son orbite et le public attend avec émoi chaque frôlement tangentiel. La fluidité du texte de Philippe Besson est magnifique et a des résonances émouvantes dans la vie de tous. Qui peut dire qu’il n’a jamais quitté ou été quitté ? Qui peut dire qu’il n’a jamais joué son couple au quitte ou double ? L’histoire d’amour de ces deux hommes ressemble à toutes les histoires d’amour. Des histoires que l’on sait condamnées d’avance et qui pourtant sont si belles et si tentantes. La présence vibrante des comédiens sur scène fait oublier le décor trouble de bar nocturne, somme toute fort ordinaire. Le rythme du spectacle est un lent crescendo vers la vérité intérieure tandis que les personnages de plus en plus vibrants pèsent leurs chimères et leurs souffrances, interrogent, se dévoilent progressivement, et se cherchent mutuellement.
Frédéric Nyssen en particulier, est un maître ès non-verbal qui hurle son mal-être (sans jeu de mots), sa colère, ses angoisses, la difficulté de ses choix. Craquant de vérité, totalement crédible dans son impulsivité et ses poses générationnelles d’être écorché. Tour à tour, il esquive, brouille les cartes et s’évapore sans explications. Mais à la fin tous deux, décapés par leur confrontation, retrouvent l’authenticité, loin des maquillages du mensonge protecteur.