Yves, massacreur de grands rôles et Michel, adepte du théâtre expérimental, sont les meilleurs ennemis du monde. Quand ils ne s’envoient pas des vacheries, ils s’entendent pour conduire sournoisement l’animatrice, Madame Binet, vers la dépression. Odile, sa remplaçante, est passionnée de théâtre et voudrait qu’ils reprennent du service. Pas question de faire les guignols pour des morts-vivants ! L’arrivée dans le home de Jean-Claude les fait changer d’avis. Jaloux de ce monstre sacré, qui les a cocufiés tous les deux, ils rivalisent avec lui, pour interpréter une scène du "Dom Juan" de Molière. La scène, que Françoise, dont tous les trois ont été amoureux, avait présentée, à son examen d’entrée au Conservatoire. Cette représentation pourrait réveiller sa mémoire lointaine et la sortir de son silence.
Michel, lui aussi, perd la mémoire. Très régulièrement, pour retrouver son texte, il doit faire appel à la souffleuse. Celle-ci crée un décalage par rapport à l’action. Thierry Debroux s’en sert habilement, pour interpeller le spectateur et multiplie les mises en abîme. Jouant des rôles d’acteurs, les comédiens ont conservé leur prénom. Ils évoluent dans des décors, qui rappellent que nous sommes au théâtre. Nous assistons à des exercices d’échauffement, très cocasses mais un peu longs, et admirons l’interprétation brillante ou émouvante de morceaux de bravoure. Odile est également une passerelle entre vie et scène. Elle voulait devenir pharmacienne. C’est sa mère qui l’a poussée vers le théâtre. Pour pouvoir l’applaudir ! Son échec au conservatoire ne l’a pas aigrie. Malgré les sarcasmes des comédiens chevronnés, elle exerce son métier avec conviction. Marie-Paule Kumps en fait une animatrice rayonnante.
La succession d’entrées et de sorties morcelle la première partie et freine son élan. On regrette aussi que cette comédie ingénieuse et délurée débouche sur une scène finale, expositive et froidement réaliste. Cependant ces bémols n’empêchent pas de prendre un bain de théâtre, avec beaucoup de plaisir. Privés des feux de la rampe, les cabots dépérissent, en ressassant un passé qu’ils enjolivent. L’auteur a réussi à canaliser leur frustration, leur amertume et leur prétention, dans des répliques mordantes qui font mouche. La mise en scène efficace de Georges Lini escamote la vieillesse, au profit de la vivacité d’esprit. On ne voit pas des retraités crépusculaires, mais des vieux enfants espiègles, qui ont gardé le sens de la répartie. Larec (Yves), de Warzée (Michel) et Frison (Jean-Claude) endossent des rôles taillés sur mesure, avec jubilation, en justifiant la réflexion du Chat de Philippe Geluck : "Etre vieux, c’est être jeune, depuis plus longtemps que les autres."
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