"Tu es très belle... Nous sommes beaux...". Les yeux écarquillés et le sourire figé, Ken et Barbie se félicitent de leur bonheur. En se disant des "machins sexuels d’amoureux", ils se frottent le ventre, pour faire un enfant. Des confusions amusantes, des phrases inquiétantes se mêlent à ces mots d’amour qui sonnent faux. On comprend qu’en manipulant ses poupées, Alice, sept ans, idéalise la relation de ses parents.
Elle imagine que son papa, "chasseur de têtes", se lance à la poursuite de proies, les décapite et aligne leurs têtes devant son chef. En réalité, il subit chez Publicis un boulot exaspérant. Lorsqu’il revient chez lui, il a besoin de souffler et de savourer d’avance, la tranche de jambon qu’il s’est réservée, en la cachant derrière les yaourts dans le frigo. Une mesquinerie écoeurante qui pousse sa femme à le braver et à l’insulter. Rongé par la rancoeur de vieux mensonges, le couple se fissure. Alice, rejetée par les autres enfants, s’enferme dans le silence, à l’ombre du mal-être de ses parents. Ce comportement, qui nécessite une surveillance permanente, prive la mère de sa liberté. Elle s’étiole en femme au foyer. Distraction interdite ! Lorsqu’il apprend que sa fille a peut-être vu une scène de décapitation à la télé, le père explose de colère. Tout à coup Alice prend une initiative qui affole ses géniteurs.
En plein désarroi, ces trentenaires narcissiques multiplient les phrases assassines. Il lui reproche de l’avoir humilié, le jour de leur mariage : deux minutes d’hésitation, avant de dire oui ! Elle l’oblige à reconnaître son refus d’affronter la vérité et sa peur de la vie. Avec fureur, ils font table rase du passé. Cette liquidation leur permettra-t-elle de remonter la pente, de retrouver l’amour ? Comme l’Alice de Lewis Carroll, ils tentent de passer "De l’autre côté du miroir"...
Grâce à la plume mordante de Léonore Confino, ce couple en perdition provoque de nombreux éclats de rire. Répliques ciselées, formules cinglantes rendent ce pugilat férocement drôle. La mise en scène d’Eric De Staercke souligne habilement l’opposition entre la vision ludique et l’image réaliste du couple. De la fantaisie, des gags, des indices troublants et puis des affrontements rugueux, qui s’enchaînent sur un rythme haletant. Fabio Zenoni apparaît surtout comme un père aux abois. Accablé de reproches par sa femme, il recherche le dialogue. Mais il devient fou quand sa fille est en danger. C’est un homme très égoïste, rancunier, querelleur qui devra reconnaître sa lâcheté. Son épouse, qu’incarne Ariane Rousseau, se sent piégée par un quotidien frustrant. Tour à tour pugnace, détachée, ironique, elle amène son mari à se voir tel qu’il est et à lutter contre l’engourdissement de notre société... Une source de réflexion.