Les Bas-Fonds est la première et la plus célèbre des pièces de Maxime Gorki. Ce père fondateur du réalisme social y dépeint les conditions de vie sordides d’un groupe d’exclus et de marginaux dans la Russie prérévolutionnaire. Avec cette adaptation, le metteur en scène Belge Raven Ruëll décide d’explorer la résonnance de l’œuvre avec l’époque contemporaine. Entre le Russie de 1902 et la Belgique de 2018, le traitement réservé aux pauvres et aux exclus a-t-il vraiment changé ? Le texte original a été remanié, actualisé et enrichi en s’inspirant de séjours passés en immersion dans des asiles de nuit à Gand, Anvers et Bruxelles. Ainsi imprégné d’une réalité toute concrète, Les Bas-Fonds pose un regard perçant et critique sur notre société.
Dans un angle du plateau, un petit abri fait de tôles laisse s’échapper des bribes de conversations. Une caméra s’y faufile, laissant apercevoir une misère ordinaire : celle des pourparlers sans fin avec les agents sociaux, des cris, de la colère et des situations expliquées à demi-mots, entre la crainte et la honte. Il ne faut cependant pas s’y tromper, la vérité se trouve ailleurs. Au centre de la scène, éclairés par une lumière blafarde, des hommes et des femmes se trainent, crachent, saignent, mangent parfois à même le sol. Sans aucune fausse pudeur, l’œuvre expose la réalité crue de la pauvreté et nous laisse seuls avec notre malaise. S’il est tentant, par moments, de détourner le regard, les personnages nous rappellent sans cesse à l’ordre dans un face à face qu’il nous est dorénavant impossible d’ignorer.
C’est que rien ne nous est épargné : la misère, la crasse, la violence, la faim. Les personnages des Bas-Fonds ont tout vécu et leurs histoires sont portées à la scène, sans concessions, par une distribution entièrement bilingue. Le projet s’inscrit dans l’accord de coopération culturelle entre la Communauté française et la Communauté flamande, et les acteurs s’expriment avec fougue en Français, en Néerlandais et souvent dans les deux langues en même temps. Preuve s’il en fallait encore que la pauvreté ne suit aucune frontière linguistique.
Criant de vérité, Les Bas-Fonds fait l’effet d’un coup de poing. Et c’est d’une démarche mal assurée que nous quittons désormais la salle de théâtre dans laquelle nous étions rentrés si confiants. Un rappel qu’il est toujours bon de faire.