Quatre êtres humains, deux femmes et deux hommes, sont confinés, enfermés, dans un coin de monde vide, plat et lisse, entouré d’une frontière interdite, un grand mur souple et translucide, qu’ils ne pourront jamais franchir. Seule espèce vivante sur ce morceau de sol en plastique aseptisé, ils sont condamnés à s’entendre faute de pouvoir s’enfuir. Il y a bien un petit trou invisible qui voyage dans toutes les directions le long de la frontière. Les habitants de ce pays extraordinairement petit ne peuvent pas chercher le trou, il leur est également interdit de chercher à savoir ce qu’il y a derrière le mur et, enfin, ils ne peuvent jamais parler de tout cela. Enfreindre l’une de ces trois règles les conduirait à la catastrophe puisqu’ils seraient engloutis par le plastique. Alors, ils se tiennent à carreau.
Pour ces quatre êtres humains qui vivent hors sol, tout n’est que danse, une danse toute en nuances, libératoire, émancipatrice, passionnée. Chaque jour est consacré à la recherche de nouveaux mouvements, particuliers, singuliers, beaux, précis, plaisants. Chaque jour, ils s’attellent à créer une nouvelle danse magnifique et les jours où cela ne fonctionne pas, ils sont tristes et se souviennent qu’ils sont seuls dans un monde vide.
Sur le plateau tout n’est que danse, écoute, équilibre et harmonie. L’histoire est un fil conducteur au gré duquel Anton Lachky et ses interprètes transportent les spectateurs au travers d’une palette de genres et de styles qui semble sans limite. La musique électronique, le hip hop, les chants grégoriens ou l’emphase d’une symphonie sont autant de couleurs que les danseurs traduisent en gestuelles riches, acrobatiques, puissantes ou chatoyantes mais qui jamais ne se départissent de la grâce et d’une précision implacable.
Les quatre comparses ont chacun leur personnalité et le semblant de plénitude dans laquelle ils vivent n’anesthésie pas totalement leurs sens. Le silence de l’obscurité, le bruit du vent ou de l’eau, le tumulte même lointain du monde, le souvenir d’un oiseau qui a un jour traversé le ciel maintenant désespérément vide, attisent un manque de quelque chose qui les empêche d’être heureux. Quelque chose cloche, comme si une fête se déroulait quelque part et qu’ils n’y étaient pas invités. Jusqu’au jour, ou plutôt une nuit, une petite bête poilue et dodue traverse - par hasard ou exprès ? on ne sait pas - leur monde désert.
On ne révèlera pas la suite et la fin de cette histoire qui est née, on ne sait pas d’où mais que tous les êtres vivants racontent, mais toujours tout bas, comme un secret mystérieux. Une histoire douce et enchanteresse, née de la plume et portée par la voix d’Eléonore Valère-Lachky, qui pousse le plaisir de l’écoute vers des sommets par la magie de rimes simples et fluides, « point de taloche, point d’anicroche ».
Décrivant une humanité perdue détachée de son environnement, le propos est on ne peut plus écologique. Mais la démarche de la compagnie ne s’arrête pas là puisque, joignant le geste à la parole, elle s’inscrit désormais sous l’égide du label « Let’s love planet earth ». Elle s’oblige donc, dans sa propre organisation, à travailler de la façon la plus durable possible, en évitant notamment les voyages en avion, privilégiant les collaborations locales, en adoptant une création lumière sobre et en s’équipant d’un kit de tournée « zéro déchet ». La compagnie implique en outre ses partenaires dans l’adoption de mesures qui permettent de réduire l’impact carbone des spectacles.
Plus qu’une simple pièce chorégraphique, la proposition d’Anton Lachky se veut une expérience transversale pour « arrêter de parler de la crise écologique » et entrer dans l’action, sans rien céder sur la qualité de l’écriture et de l’interprétation. C’est de toute beauté, en plus d’avoir du sens.
Didier Béclard
« Les Autres » d’Anton Lachky, texte écrit et lu par Eléonore Valère-Lachky, interprétation : Evelyne de Weerdt, Dunya Narli, Nino Patuano et Lewis Cooke. http://www.antonlachkycompany.com/les.
Le spectacle est présenté ce dimanche 7 novembre 2021 au Centre Culturel de Libramont avant de tourner à Braine l’Alleud, Ottignies Louvain la Neuve, Soignies, Mons, Liège, Tournai, Berchem (première en flamand) et Rixensart. Il sera au Théâtre Marni à Bruxelles, les 24 et 25 avril 2022, 02/639.09.82, www.theatremarni.com.