11 septembre 1844. Originaire de Rimpar (Bavière), Heyrun (rebaptisé Henry) Lehman débarque sur le quai numéro 4 de New York. A Montgomery, dans l’Alabama, il ouvre (même le dimanche !) une petite boutique de tissus et confection. Ses frères Emmanuel et Mayer le rejoignent. Le magasin à l’enseigne jaune sur fond noir prend de l’extension. Un des atouts des Lehman brothers est la répartition innée des compétences. Henry "la tête" a du flair et de l’audace. Il n’hésite pas à suivre les conseils qu’il trouve judicieux. Plus circonspect, Emmanuel, "le bras" calcule les risques avant d’agir. Les aînés se montrent paternalistes envers le benjamin. Pourtant Mayer, surnommé "la patate" est très utile pour arrondir les angles et deviendra un "gestionnaire" efficace.
Ruinés par un terrible incendie, les planteurs de coton paient ce qu’ils achètent aux Lehman en coton brut. Récolte que ceux-ci revendent, avec un beau bénéfice, à Ted Wilkinson, un New Yorkais qui dope ces transactions. Prenant goût à ce métier d’intermédiaires, les trois frères investissent dans le négoce du café et s’intéressent aux chemins de fer. La mort d’Henry, emporté par la fièvre jaune, ne brise pas leur élan. Durant la guerre de Sécession, Emmanuel, installé à New York défend le Nord, alors que Mayer soutient les Sudistes. Le conflit terminé, les frangins réconciliés reprennent leur marche en avant.
Sur l’enseigne jaune à fond noir des Lehman brothers, BANK a pris la place de COTTON. C’est Philip, le fils d’Emmanuel, qui dirige le navire. Banquier intraitable, il veut bien participer au développement des chemins de fer, mais à ses conditions. Agacé par le manque d’audace de son père et de son oncle, il les pousse à s’ouvrir à la dématérialisation du commerce : il faut vendre des actions plutôt que du café. A l’affût des nouveaux marchés, il surveille le pétrole, se passionne pour les chaînes de montage d’Henry Ford et rêve du pactole, qu’offrira l’exploitation du canal de Panama.
29 octobre 1929 : mardi noir. Effondré, Philip s’en remet à son fils Bobby, pour échapper au désastre. Celui-ci garde son sang-froid : le sacrifice des petites banques trop faibles restaurera la confiance. Intuition exacte. Stimulée par la publicité et la télévision, la fièvre acheteuse ramène la prospérité. Malheureusement, en laissant les traders imposer leurs méthodes dans sa banque, Bobby commet une erreur fatale...
Stefano Massini est un excellent conteur. Son récit incisif, drôle, sublimé par une langue poétique nous fait assister à l’éclosion du capitalisme moderne. Pas de condamnation du système ni d’explications savantes, mais une approche pertinente et sensible. Il exalte l’esprit de conquête, tout en démystifiant, avec une ironie mordante, la lutte pour le pouvoir. Fin stratège, Philip devient ridicule, lorsqu’il utilise sa "méthode" pour choisir l’épouse idéale. Afin de souligner la primauté des affaires, l’auteur tourne en dérision les rites de deuil ou la guéguerre entre les "Lehman" et les "Goldman sachs"
Lorent Wanson souhaite que "ce spectacle soit "pauvre", intime et s’ancre dans l’éphémère, le précaire." C’est à partir d’un fatras de reliques que se développe ce feuilleton ludique. Si à plusieurs reprises, des spectateurs sont invités à monter sur la scène, c’est pour aérer la représentation, mais également pour faire sentir au public que cette histoire le concerne. Par leur faconde, leur malice et leur énergie débordante, Iacopo Bruno, Pietro Pizzuti et Fabrice Schillaci nous entraînent dans un tourbillon de scènes burlesques ou dramatiques. Ils chantent (en italien), dansent, se relaient pour mener la narration, jouent de multiples rôles, se mêlent au public, exploitent le comique de répétition, avec une aisance étourdissante. Le pianiste Fabian Fiorini les soutient par ses compositions musicales et sa complicité radieuse. "Lehman Trilogy" est une saga qui nous fait beaucoup rire. Elle nous incite aussi à ouvrir les yeux sur notre monde.
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