Deux femmes, deux hommes, nus, s’avancent aux abords d’un carré de lumière. Ils y plongent un regard, scrutent la salle. Les hommes se serrent la main, les femmes apprêtent leurs cheveux. Flash. Ils prennent des vêtements, s’habillent (un peu), se mettent en file, rejoints par une autre femme, aussi légèrement vêtue, entrent dans la lumière, chaussent des lunettes et prennent la pose.
Les corps se coulent dans des costumes lourds, corsets et pourpoints, le décor sonore change, les personnages sont différents, les postures sont semblables. « Repeat after me ». Simulations, faux-semblants, illusions, les codes vestimentaires suggèrent une époque trahie par les anachronismes. Hypocrisie, rires sous cape, moqueries. « Be yourself ». Tentatives de séduction, des couples se forment, s’assignent un rôle, se séparent. L’apparat transpire dans les bijoux clinquants de pacotille et dans les gants satinés brodés. Tout semble charme, luxe et volupté...
Les modèles sont en représentation, prisonniers du rôle qu’on leur assigne, hésitant sans cesse entre le paraître et l’être. L’harmonie se lézarde, l’un tente de capter toute la lumière, l’autre cherche dans le regard du public la preuve de sa propre existence. Toute velléité de se distinguer, de se détacher de la masse, de s’affranchir du mouvement est anéantie par imitation, correction ou uniformisation. Sous la pression sociale, les mouton noir rentre dans le rang, sacrifie sa personnalité pour se conformer. Puis la rythmique s’emballe et libère les corps des tensions qui les déchirent. Ils exultent, plongent dans l’ensauvagement d’une sarabande jouissive, et libératoire.
Catwalk, flash, postures, « Histoire de l’imposture » évoque clairement un shooting photo et, par là, le monde de la publicité et des magazines de mode, symboles d’une société du faux-semblant, voire du mensonge. Le jeu des interprètes – à noter que Leslie Mannès, blessée, était remplacée par Éléonore Valère-Lachky -, la mise en scène, la lumière et la musique, signée Thomas Turine, confèrent à cette pièce une puissance et une élégance et en font une référence qui a traversé les années sans la moindre altération.
Didier Béclard
« Histoire de l’imposture » de Patrick Bonté avec Nicole Mossoux, avec Sébastien Jacobs, Frauke Mariën, Maxence Rey, Marco Torrice et Éléonore Valère-Lachky.
La pièce prévue au Théâtre des Martyrs à Bruxelles début juin a dû être reportée suite aux dernières décisions du Comité de Concertation.