Au commencement, il n’y avait rien. Même pas de lumière, ou juste un petit peu. Peut-être aussi quelques panneaux de bois mal blanches, appuyés contre le mur du fond de scène. Une voix naïve s’élève pour égrener une comptine enfantine qui parle de regarder le monde qu’il est impossible de voir comme un tout, dans son entièreté.
Subrepticement, un des panneaux du fond a la bougeotte et se déplace vers la gauche. Un autre se met également en branle dans un bruit de ferraille. Un troisième se décide à son tour et va rejoindre le deuxième. Enhardi, le premier panneau ambitionne de s’unir à la paire qui vient de se créer mais il est rejeté. Il tente alors de s’accoquiner avec un quatrième tout juste sorti de sa torpeur mais il essuie un autre râteau.
Commence alors un ballet des panneaux de bois dans un tintamarre fait de souffles de vent, de bruit de fers qui s’entrechoquent, de grincements, de limailles qui s’étalent. Les planches oublient totalement les hésitations qui marquaient leurs premiers pas pour imprimer une dynamique déterminée et étourdissante à tous leurs déplacements. Elles terminent cette ronde folle et chahutée en s’immobilisant, côte à côte, face au public, pour former un mur qui semble insurmontable.
Jusqu’ici, aucune trace d’acteur ou de comédienne sur la scène, le seul personnage qui occupe et dessine le plateau, c’est l’espace lui-même et les éléments qui le composent. Pour l’auteur et metteur en scène Nicolas Mouzet-Tagawa, « Le Site », en tant que lieu est « le contenant autant que le contenu. Il est le personnage central du spectacle ».
Quatre formes vaguement humaines, des amas de vêtements portant des sacs, arrivent en grappe et longent la palissade et disparaissent dans la pénombre. Elles réapparaissent d’où elles étaient arrivées, manifestement elles font le tour de ce qui ressemble, de plus en plus, à une forteresse. Elles gravitent péniblement autour du bunker, l’un se détachant parfois du groupe avant de le réintégrer, l’autre faisant une pause attendu par un acolyte, avant de reformer un groupe compact.
Ils reprennent le chemin mais l’ensemble se disloque, ils avancent seuls, l’un se couche au sol, une autre revient sur ses pas, l’autre coure le long de la parois. Puis ils recommencent lentement à tourner le long des panneaux qui prennent des couleurs. Un des panneaux est écarté de l’intérieur, les intrus s’approchent mais la parois se referme. Fâchés, ils tambourinent sur les planches qui s’agitent. L’un d’entre eux la frappe de la tête jusqu’à y faire un trou par lequel il s’engouffre.
Les panneaux se referment sur son passage, s’alignent, s’avancent, refluent et s’ouvrent pour faire un couloir au bout duquel jaillit une lumière par une porte ouverte. Des musiciens y tiennent conciliabule, semblant répéter la petite ritournelle du début, tandis qu’un être en guenilles erre toujours dans la forêt de panneaux. Un voix off entame la lecture d’un conte dans lequel les « sitoyens » ont l’obsession de se situer, se repérer, de tracer, de tout cartographier. A force, la perspective est bloquée.
On sent la métaphore, l’expression d’une société déshumanisée faite de murs, d’exclusions, du contrôle ou du rejet de l’autre et du désir, frustré, du vivre ensemble, à partir d’une idée, séduisante, de décor personnage. Mais, est-ce parce que cette idée est mise de côté lorsque surgit la présence humaine ou parce que celle-ci ne s’exprime que de façon périphérique (on assiste à une conversation entre plusieurs protagonistes plus qu’à un jeu d’acteurs), mais l’illusion s’étiole, la confusion s’installe. La thématique de l’antagonisme qui oppose ceux qui sont dedans à ceux qui sont dehors est à peine effleurée, sans vraiment poser de questions.
Didier Béclard
Photo de Yoann Cordelle