Monumentale, oui, mais également terriblement précise et symbolique. Car ici, le moindre élément est porteur de sens, et chaque détail découle d’un choix évalué, analysé, longuement pesé. Le mélange de narration et de dialogue rappelle l’origine littéraire de l’oeuvre, le respect du texte ainsi que l’utilisation de phrases en allemand font entendre le texte de l’auteur, les discours intérieurs du protagoniste, prononcés au micro, perturbent la perception de l’espace du spectateur et contribuent à une impression de profondeur. Les espaces créés et la lumière de plus en plus obscur travaillent sur le sentiment d’oppression et d’étouffement. Les personnages féminins, et les relations que Josef K. entretient avec elles, contribuent au sentiment de malaise. Cette intelligence des choix, cette profondeur symbolique se retrouve également au cœur même des scènes, des actions et du jeu, comme notamment la course-poursuite en rond entre K. et l’avocat.
Ainsi, à l’image de la littérature de Kafka, c’est un spectacle dense, épais et obscur qui fait vivre le cauchemar du "Procès" au public. En ce sens encore, ce travail est une réussite puisque le public n’en ressort pas indifférent. Cependant, il vaut mieux savoir à quoi s’attendre en allant y assister. En effet, l’histoire de Josef K. tourne en boucle jusqu’au vertige. L’action n’avance pas, et la fin se devine d’avance. Une telle ambiance, ça ne peut que mal finir. Du coup, cela semble lent à venir.
En dehors de l’avocat (Jean-Pierre Baudson), dont l’interprétation offre quelque moments de légèreté bienvenus, et de l’oncle (Stéphane Ledune), qui offre un personnage qui est facile à comprendre et auquel on peut aisément s’identifier, la construction des personnages trouve difficilement un écho dans l’expérience de nos vies. Si l’on ajoute à cela l’absurde des situations qui participe de cet obstacle, difficile de se laisser toucher. De son côté, Bernard Gahide propose un Josef K. presque détestable : arrogant, pernicieux, capricieux. Difficile de s’attacher à un tel homme, et pourtant, difficile également de ne pas le voir comme une victime d’un système déshumanisé. Bref, bilan neutre.
Attention, âmes sensibles : certaines scènes peuvent également mettre mal à l’aise, il vaut mieux être prévenu. Entre une scène de torture, d’autres plus ou moins lascives, et l’indifférence presque totale de la plupart des personnages, pas toujours facile de garder l’œil sur ce qui se joue sur scène. Ajoutez à cela la longueur du spectacle, et une scène (dans les dernières) éclairée à la seule force d’une lampe de poche, il est conseillé de venir avec votre capacité de concentration maximale. Car malgré les moyens techniques employés, le "Procès" ne tombe pas dans le spectaculaire et laisse la part belle à la réflexion du public.
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