Au milieu d’une pelouse synthétique, une maisonnette multicolore en plastique. C’est là qu’habite Georges Dandin. L’air un peu paumé, il se promène, s’amuse avec Colin son mouton-valet. Juché sur un tabouret, il se sert de jumelles de théâtre, pour observer les sommets. Puis s’adressant à lui-même, il se reproche d’avoir fait "la plus grande sottise du monde". Les confidences de l’individu, qu’il vient de voir sortir discrètement de sa maison, confirment son remords. Mis en confiance, ce Lubin lui révèle que sa mission est un succès. La "dame du logis" envisage très favorablement une liaison avec Clitandre, son maître. Dandin veut en rendre témoins ses beaux-parents. Eclairs, coups de tonnerre... monsieur et madame de Sottenville atterrissent, se débarrassent de leurs capes et rejoignent le petit monde de Georges Dandin.
A peine celui-ci a-t-il ouvert la bouche que madame de Sottenville lui assène des leçons de savoir-vivre. Son mari la relaie : à cause de la différence de classe sociale, il ne peut pas dire "ma femme" en parlant de leur fille. Dandin proteste contre ce marché de dupes. En épousant Angélique, il est devenu monsieur de la Dandinière, mais aussi le gendre fortuné, qui a remboursé les dettes importantes des "de Sottenville". Angélique n’a aucune peine à persuader sa mère de son innocence et son père ne peut croire à la malhonnêteté d’un gentilhomme comme Clitandre. Résultat : Dandin est contraint de lui présenter ses excuses. En se reproduisant, ce scénario confirmera la sottise du cocu humilié, l’impudence d’Angélique et la crédulité de ses parents.
Tout au long de la pièce, Georges Dandin peste contre son péché de vanité. Riche paysan, il s’est offert un titre noblesse. Trompé par une femme, qu’il n’aime pas, il veut démontrer sa perversité. En défendant son bien, il deviendra la risée de la classe dominante. L’interprétation d’Arnaud Botman laisse percer le désarroi qui l’agite, mais ne manifeste pas la rage du bourgeois revanchard. Il subit les remontrances et les pressions comme un enfant grondé.
La mise en scène de Nicole Stankiewicz et la scénographie d’Aurélien Leforestier soulignent avec humour le fossé entre l’univers bucolique rêvé par Dandin et le monde d’en haut. Celui où des gens bien nés, servis par des valets solidaires, imposent leur loi. Dommage qu’à force de se répéter le rituel du paillasson et les apparitions tonitruantes ralentissent le rythme de la farce. En incarnant une Angélique pugnace et implacable, Jenna Hasse fait ressortir la modernité de Molière. Dans cette version, elle n’apparaît pas comme une oie blanche, exploitée et protégée par ses parents. Ils "l’ont vendue" par intérêt, en lui imposant ce mariage avec un paysan méprisable. Aussi elle revendique son droit à la liberté, en s’offrant le plaisir de la vengeance. Elle n’hésite pas à tromper son mari, avec les galants qui lui plaisent et à profiter de sa balourdise, pour lui faire perdre la face. Sous les rires de la comédie, beaucoup de cruauté.
Jean Campion.
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