En fervent admirateur, Patrick Pelloquet soutient par son talent de metteur en scène et de comédien le travail de Miguette, l’épouse de Louis, qui s’est attelée à éditer et rassembler l’intégralité des œuvres de son mari. Sa fameuse autobiographie Septentrion jugée « pornographique » fut interdite à la vente par la censure en 1963. Patrick Pelloquet fait œuvre d’affectueuse réhabilitation car il ne s’en cache pas, il aime par-dessus tout l’écriture de Louis Calaferte pour son sens aigu de l’humain, sa défense inconditionnelle de l’individu face aux systèmes qui le dévorent.
« L’art, c’est la vie ! » Il savoure les parlers familiers et dépouillés d’artifice des braves gens. Louis Calaferte est dans la lignée de Feydeau qui glisse des grains de sable dans la mécanique des certitudes. Il jongle avec la musicalité et la rythmique de la langue où un mot pousse l’autre à grands coups de balai pour enfoncer même des portes ouvertes. Ouvertes sur le vide, l’angoisse et notre petitesse. Ce langage « anodin » recouvre bien souvent une réalité plus profonde, comme vue soudain en transparence. Il pointe que le danger pour l’homme ne vient pas toujours nécessairement de l’extérieur mais aussi hélas de dysfonctionnements physiques qui atteignent le corps. En effet l’écrivain a été victime de maladie chronique depuis ses 13 ans et aux prises avec une médecine qui lui a laissé, comme à Molière ou à Jules Romain, de fortes désillusions sur la profession de médecin et un arrière-goût très amer. Son théâtre est du « constat expérimenté » vécu dans la chair.
Louis Calaferte, comme ses illustres prédécesseurs, est fasciné et horrifié par l’autoritarisme du monde médical, le refus d’écoute et les abus de pouvoir de la « Science ». Il est d’une sensibilité brûlante pour l’humanité des individus victimes de tous les pouvoirs. Dans la pièce, l’auteur est à la fois le vieux père qui pratique avec délices la désobéissance culinaire et la vieille mère qui dit non à tout ce que peuvent dire les docteurs qui viennent l’examiner. Il dénonce la dangereuse manipulation de la Faculté vis-à-vis des familles qui ont appelé au secours et il constate avec horreur que la même manipulation terroriste finit par infecter à son tour des êtres normalement sains, soudain pris de la même folie manipulatoire, oubliant toute dignité et tout respect vis-à-vis de leurs géniteurs. Le traitement que l’on inflige parfois à nos « anciens » est symptomatique. Le message s’impose : « Il est urgent d’apprendre à vivre et à aimer. » Il est urgent qu’on ne se laisse pas avaler par le brassage puissant des moulins à vent ! Broyés par la « nécessaire » soumission aux machines infernales : la violence de toute origine, médicale, éditoriale, familiale, parentale, filiale, viscérale, cardinale, hexagonale, coloniale, capitale, provinciale, internationale, mondiale, sociale, radicale...
Metteur en scène et comédien dans le rôle de Lucien, Patrick Pelloquet avec ses très brillants comparses du Théâtre régional des Pays de la Loire, épouse parfaitement ce plaidoyer pour que retentissent « le dérisoire », « le désarroi » et « l’intime ». Il se réjouit que le public belge trouvé sur sa route accueille avec tant d’empathie le texte et ses filigranes. Il ne manque pas de souligner que le public français est par contre beaucoup plus sensible à l’impact et aux ressorts comiques de tout ce que la pièce décrit comme « un peu bancal » ! Ceci n’est pas une farce. Et pourtant on rit goulûment, à tout propos, à toutes cascades de postures et impostures. Et pris dans le tourbillon d’énergie formidable dégagée par des acteurs absolument justes dans leurs interprétions du tonnerre de dieu, on rêve bien sûr de rébellion.