Sébastien est morose. Prétextant des migraines à répétition, sa femme Arlette se refuse à lui, depuis plusieurs semaines. Lorsqu’elle le surprend, tentant maladroitement de lui faire boire un aphrodisiaque, elle l’accable de ses sarcasmes. Dépité, Sébastien essaie de l’apaiser, en lui rappelant ce qu’il lui doit. Peu après leur mariage, on le disait condamné : le pancréas, les poumons... Et c’est elle qui l’a ressuscité, revigoré par sa libido flamboyante. Cette reconnaissance l’agace énormément. Qu’il s’en aille pêcher ! Elle restera seule, comme d’habitude. Cependant, elle se radoucit brusquement, en lui proposant un curieux marché : sans poser de questions, il lui prête 200.000 francs contre 4 nuits d’amour fou. Interloqué, l’époux près de ses sous hésite puis cède à la tentation.
Avec cet argent, Arlette compte appâter un complice qui la débarrassera définitivement d’un mari... qui ne sait pas nager. Premier candidat : Kiki, son frère. C’est lui qui l’a poussée à épouser Sébastien, persuadé que ce moribond avait gagné 80 millions au sweepstake. Il vient de se taper un an de tôle, voudrait jouer les durs, mais n’a vraiment pas l’âme d’un tueur. On sent bien que Percier, dit "le Satyre" est tout aussi poltron et qu’il trahira son engagement. Il faut être aveugle comme Arlette pour faire confiance à ce joueur invétéré, toujours en manque d’argent. Ces deux gangsters de pacotille semblent tout droit sortis d’un film dialogué par Michel Audiard, comme "Le Cave se rebiffe" ou "Les Tontons flingueurs". Marionnettes ridicules et savoureuses, ils font loucher vers le vaudeville cette comédie gentiment féroce. Sans se soucier de la vraisemblance ni du sort du mari indestructible, on s’amuse à repérer les grains de sable qui font avorter les assassinats.
Créée en 1954, "Le Mari, la femme et la mort" a été reprise en 1974 et 1987, toujours avec succès. En la mettant en scène, Danielle Fire n’a pas voulu la "rethéâtraliser". Le clin d’oeil des trois coups annonce la couleur. On laisse la pièce "dans son jus" avec ses qualités et ses rides. Pour relancer l’action, Roussin abuse d’explications bavardes, parfois même en faisant raconter par un personnage, une scène dont le public a été témoin. Mais il offre aussi aux acteurs des échanges pétillants et des personnages hauts en couleur. Jonas Claessens souligne le côté m’as-tu vu de Kiki. Ce petit vaurien hâbleur et cupide bombe le torse, mais se dégonfle au moindre danger. Franck Dacquin arrive à le surpasser dans le tape à l’oeil. Les ronds de jambe de Percier sont irrésistibles.
Les autres comédiens adoptent un registre moins burlesque. Tout en ne la blanchissant pas, Stéphanie Moriau nuance la perfidie d’Arlette. Coquette et vénale, cette femme rêve de devenir une veuve riche. Elle pourra ainsi fonder une famille, avec un homme qu’elle aime. Egoïsme monstrueux ? Cruauté inconsciente ? La pièce n’éclaire pas ses frustrations, elle nous invite à rire de ses déconvenues. Paysan radin et bonhomme, Sébastien, incarné par Michel de Warzée, est profondément attaché à sa femme. Sentiment qui l’aveugle longtemps. Quand il ouvre enfin les yeux, son regard est glaçant. Cette histoire rocambolesque se termine dans les éclats de rire, mais laisse percer l’amertume de Roussin sur la nature humaine. A travers le changement d’image du personnage de Julie Despied, joué par Amélie Saye. D’abord voisine collante et obsédée par la menace du satyre, elle réapparaît comme une froide meurtrière, déçue par la faiblesse d’Arlette. En pantoufles et tablier, elle représente la mort qui ne fait pas de cadeau. Il est difficile d’imaginer les sentiments liant Sébastien et Arlette, au sortir de cette épreuve. Pour l’auteur, il est possible que frôlés par ce drame, ils ressentent "une sorte d’aimantation". C’est pourquoi il fait dire à son héroïne : " Peut-être arrive-t-on à tenir à quelqu’un, simplement parce qu’il est le seul à vous savoir capable de tout."
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