C’’est un super-héros utile, mais qui ne fanfaronne pas. Rattraper au vol un bambin tombant du quatrième étage ou faire rater le train qui aura un accident sont des "activités de sauvetage relativement modestes". Cependant elles protègent l’humanité contre le fatalisme et "rétablissent l’équilibre dans le monde, entre un réalisme de bon aloi et un optimisme de première nécessité." Malheureusement, il lui est interdit d’exercer son beau métier dans le cadre de sa famille. Simon aurait préféré être menuisier... Un regret qui provoque les ricanements de son neveu. Révolté par une mort qu’il n’admet pas, cet écorché vif ne supporte pas le cirque du deuil. Pas question de déplacer le corps, pour faciliter les visites. Avec une ironie grinçante, il décrit son père qui "appelle le monde ". D’abord le docteur, pour qu’il confirme qu’elle est bien morte. Puis les gens à ne pas oublier : la voisine, ses amies de la classe de poterie, sa tante d’Ostende...etc. Mari consciencieux, il s’efforce de respecter les souhaits de sa femme. Quand il propose de fixer l’enterrement mardi prochain, le fils constate avec amertume : le jour de son anniversaire !
Ne pas fermer l’oeil de la nuit lui donne l’illusion d’arrêter le temps. En revanche, après un sommeil court mais réparateur, son père revit, devant les champs recouverts de rosée, au petit matin. Il a soutenu, comme il le devait, son épouse, durant la maladie. Maintenant, on ne peut plus rien pour elle. Les silences pesants et les regards pleins de rancune suggèrent le fossé qui sépare les deux hommes. Pourtant, ils ont besoin de se parler. Des échanges apaisés et d’autres violents. Comme cette attaque du fils qui accuse son père de n’avoir jamais su exprimer ses sentiments. Ils en viennent même aux mains et le père, qui a pris le dessus, se moque du "petit prince sparadrap ". Un peu après, il prétendra que sa femme le considérait comme "un homme très sensible". Les adversaires se défient, se cherchent, se déchirent, tentent de s’accorder...
Jusqu’au bout, le fils inconsolable boycotte l’enterrement conventionnel. Simon aussi refuse d’y assister. Lui, qui se bat contre la misère du monde, est mal à l’aise, face à ce symbole de l’échec. Un état d’âme qui exaspère le veuf : la misère du monde était chez eux ! Incarnée par la maladie de sa femme. Simon était un grand frère qui obligeait sa soeur à finir ses épinards. Devenu sauveur, il a dû l’ignorer. Comment s’occuper à la fois de ses proches et du monde ? Cette question, comme celle des limites de la communication, traverse la pièce.
Mêlant adresses au public et dialogues, Esther Gerritsen décortique avec beaucoup d’acuité les rapports entre ces trois hommes. Elle souligne leur difficulté à dévoiler leurs faiblesses, dans un texte âpre, teinté d’humour. Le père et le fils n’ont pas de nom ni de profession. Le décor, tout aussi neutre, fait appel à l’imaginaire du spectateur. En jouant sur les silences, les changements de rythme et de ton, les distances, David Strosberg, le metteur en scène, a orchestré avec finesse cette "partition musicale déjà très forte". Dans sa combinaison blanche, très moulante, marquée d’un S, Simon suscite plus de perplexité que d’enthousiasme. Ce superman, qui a du mal à prendre son envol et qui se blesse maladroitement, est un peu risible. Alexandre Trocki en fait un homme simple, honnête et désarmé. Sous la dérision et l’agressivité, Vincent Hennebicq laisse percer la douleur d’un fils, malade de chagrin. Anxieux, le père, incarné par Philippe Grand’Henry, se raccroche à son devoir et à des souvenirs rassurants. Le talent de ces trois grands comédiens rend le huis clos captivant.
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