Tout le monde a déjà rencontré une des ces bandes de « gars de la piscine » qui passent leur journée à zoner sur le banc de la place, à mater les filles qui passent et à jouer aux caïds. Partir de leur ennui et du vide de leur existence n’a a priori pas l’envergure d’être le sujet central d’un spectacle. Et pourtant, Salvatore Calcagno propose un objet théâtral décalé et intrigant qui transcende le quotidien de la thématique qu’il aborde par la sensualité qu’il dégage.
La vendeuse de glace est la première à faire son apparition sur scène. Son corps rachitique se meut avec lenteur dans l’espace, déformé par de hautes semelles compensées qui lui donnent un balancement hypnotique. Derrière son frigobox à roulettes, la vendeuse à la peau diaphane devient diva étrange, créature fantasmée et fantasmatique, acérant dès les premières secondes du spectacle notre curiosité.
Les jeunes débarquent, quatre mecs et une fille, la clope au bec. Pas d’action, ou si peu. On se touche, s’effleure, se taquine, s’embrasse presque, se souffle dessus. Dans le dialogue qu’entreprennent les corps les uns avec les autres se tisse une matière épaisse, émerge une consistance palpable où les jeux de mains, de fumée, les regards en disent long.
Des corps sans âge, naïfs, jeunes dans leur fraîcheur, se répondent ; les conversations futiles, prennent sens par l’incarnation sincère des acteurs, sont sublimées par un travail précis et juste de chœur. Le spectateur est invité dans un monde sensoriel au goût délicieux de séduction, où le rythme de l’ordinaire et du presque rien s’installe.
Pourtant « le garçon de la piscine » tient si peu du réel et de l’ordinaire. Salvatore Calcagno est un plasticien des corps, il utilise le matériau humain avec créativité pour décaler et nourrir le banal et lui donner un statut d’exception. Des situations insignifiantes sont récupérées et passées à la moulinette de la théâtralité et se transforment en drôleries loufoques tout en demeurant identifiables. Une scène de classe devient sur les planches séance de borborygmes sous l’égide d’une professeur-sorcière, entre clins d’œil réalistes et véritables inventions scéniques. En ce sens, le travail du metteur en scène est particulièrement convaincant et fait preuve d’une recherche esthétique et symbolique singulière. On déplorera peut-être le glissement de registre et quelques scènes plus inégales en fin de spectacle qui entrent en rupture avec la magnifique sensualité qui est présente dans le reste de la pièce. Un détour par le discours déforce un tantinet la ligne de conduite, là où à d’autres moments les images et la présence des comédiens – qui font preuve d’une performance à tout moment ajustée – suffisaient.
En donnant à sentir et à vivre la désillusion d’individus qui s’enracinent en bord de piscine, la pièce propose un langage empreint de corporalité et traite mine de rien de questions fondamentales comme celle de l’errance, de l’empêchement, de l’omniprésence de la sexualité. Un travail prometteur pour une équipe jeune et pleine d’énergie.
Blanche Tirtiaux
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